Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Trois raisons au moins donnent lieu de s’intéresser à Louis Veuillot. D’abord, il prend une part importante, au milieu du siècle, dans le débat sur la place à accorder à la culture classique dans l’enseignement. En 1851, l’abbé Gaume publie Le Ver rongeur des sociétés modernes, ou le Paganisme dans l’éducation, qui condamne l’introduction des textes de l’Antiquité païenne, celle-là même qu’a ravivée la Renaissance, dans l’éducation des jeunes catholiques. Veuillot lui apporte son soutien dans L’Univers, qu’il dirige ; il s’oppose à Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, figure du légitimisme éclairé ; l’affaire va jusqu’à Rome et Pie IX doit répondre par l’encyclique Inter multiplices qui critique le gallicanisme et affiche finalement une position modérée sur la question des classiques.

Deuxième curiosité : Veuillot est fondateur d’un certain style pamphlétaire français, que Thibaudet reconnaît après lui dans Drumont, Bloy, Daudet, Maurras. Il tient en grande partie à la trajectoire sociale de Veuillot, autodidacte issu du peuple, qui finit par s’adresser, avec L’Univers, au petit peuple catholique de province. Hugo s’en prend à Veuillot après 1851 car ce dernier s’est fait défenseur du coup d’État : il le raille dans Châtiments, non sans lui reprendre la langue du peuple dont celui-ci s’était fait le relais.

Veuillot est enfin l’ami paradoxal de Baudelaire (et de Nadar) : est-ce à cause de sa curiosité pour le mal, pour le péché ? Tous les deux sont également disciples de Joseph de Maistre. Cette amitié, sur fond d’alliance des contraires, n’est pas sans remous. Veuillot raille un article de la Société des gens de lettres sur la mort de Nerval, en 1855. On y dit que Nerval a « trop spiritualisé la vie » ; Veuillot répond qu’il l’a probablement trop alcoolisée. Il parle en connaisseur, ayant lui-même appartenu à cette bohème poète et journaliste avant sa conversion en 1838. Outré par le passage, Baudelaire lui envoie néanmoins Les Fleurs du Mal ; Veuillot en rend compte en 1858, considérant dans son article que l’auteur souffre de la comparaison avec Musset. Si le critique est présent dans le cortège funéraire de Baudelaire, il continue, par la suite, à réserver ses jugements sur les textes du poète.

Veuillot est incessamment caractérisé selon deux régimes contradictoires. Sa laideur physique dégoûte mais il amuse par sa méchanceté et sa grossièreté ; d’après un journaliste contemporain, son style, chargé de « pétarades horrifiques et épouvantables […], pue le cabaret et la sacristie ». Sa carrière naissante rappelle celle des petits journalistes de la Restauration et de la monarchie de Juillet que Balzac décrit dans Illusions perdues. Ses parents sont illettrés, lui-même ne va pas au collège. Il débute en 1825, en pleine bataille romantique, chez l’avoué Fortuné Delavigne, passionné de littérature et frère du poète Casimir Delavigne. Il devient par la suite un véritable condottiere, journaliste à gages, écrivant systématiquement pour les journaux ministériels. À 19 ans, le général Bugeaud l’envoie à Périgueux pour y tenir le Mémorial de la Dordogne ; Guizot, son autre patron, le rappelle à Paris en 1836 pour la rédaction de La Charte de 1830. Il entre ensuite au Moniteur parisien où il rend compte des débats parlementaires. Mais il s’effraie de perdre sa morale, voyage à Rome en 1838, se convertit et s’éloigne momentanément du milieu journalistique pour rejoindre l’Administration de l’esprit public (les futurs Renseignements généraux). En 1841, Bugeaud l’emmène avec lui en Algérie ; il y prend le sabre, contribue à la prise de Médéa et de Mascara, mais a la nostalgie de la bataille des plumes et des idées. En 1843, il quitte le ministère de l’Intérieur, devient rédacteur en chef de L’Univers catholique. Il adhère, ce faisant, aux idées de Joseph de Maistre, détestant avant Maurras la triade Renaissance, Réforme, Révolution. On ne cessera de rappeler l’origine populaire de Veuillot ; il apparaît aux yeux de beaucoup comme l’introducteur de l’esprit démocrate dans l’Église, jusqu’ici dirigée par une aristocratie. Son premier combat, dans les années 1840, est pour la liberté de l’enseignement catholique, contre la loi que Villemain prépare sur les congrégations, qui doit bientôt donner le monopole de l’enseignement à l’Université. Il incarne le polémiste catholique intransigeant, resté libre jusqu’au bout, refusant aussi bien la Chambre que l’Académie.