Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Le mot « civilisation » semble avoir un lieu et une date de naissance précis, à savoir la langue française et le traité L’Ami des hommes de Victor Riqueti de Mirabeau (1756, publ. en 1757). L’étude d’Émile Benveniste (« Civilisation. Contribution à l’histoire du mot » [1954], dans Problèmes de linguistique générale, I, 336-345) identifiait pourtant une utilisation presque contemporaine du mot anglais correspondant – « civilization » –, utilisé par Adam Ferguson, An Essay of the History of Civil Society (1767, mais déjà écrit en 1759). Par conséquent, Benveniste concluait son étude en fixant aux recherches futures une alternative à résoudre : « si civilisation a été inventé deux fois en Europe en France et en Angleterre, indépendamment et vers la même date, ou si c’est le français qui l’a seul introduit dans le vocabulaire de l’Europe moderne » (Problèmes de linguistique générale, I, p. 345). Les outils lexicographiques actuels nous permettent de répondre à cette question, et de façon inattendue : le mot a fait son apparition bien avant Mirabeau (avec la même signification) et l’anglais a devancé le français.

L’histoire du mot entraîne presque naturellement une réflexion ultérieure sur la relation génétique entre l’idée de « civilisation » et celle de ius civile, donc de droit, avec lequel elle partage un trait sémantique évident. Le processus de civilisation (sous différents noms) a toujours été le sujet de récits, à l’échelle de l’humanité entière ou de groupes humains donnés. Ces récits utilisent souvent l’origine du droit comme paramètre pour établir à quel moment le seuil de la civilisation est atteint (et comportent donc un jugement de valeur implicite). Cette réflexion sur « la civilisation comme récit » nous amènera à rebours vers l’Antiquité romaine (qui est un répertoire de « schémas de civilisation ») puis à nouveau vers l’époque contemporaine. Plusieurs disciplines continuent de fait à utiliser ces récits comme foyers d’intelligibilité et d’encadrement des données de plus en plus abondantes dont on dispose sur les groupes humains du passé.

Revenir sur le mot et sur les récits peut contribuer à la réflexion sur nos catégories et sur les relations entre les différentes disciplines qui questionnent l’histoire de l’homme en société.