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Depuis l’engagement occidental en Afghanistan et en Iraq, le terme de « fixeur » (anglais, « fixer ») est devenu fréquent pour désigner, quasi exclusivement, des hommes qui rendent des services multiples aux journalistes et aux armées étrangères. Le fixeur est en réalité un très vieux terme journalistique qui désigne un homme à tout faire dans des situations de conflit : c’est celui qui est à la fois interprète, informateur, guide, médiateur, fournisseur, chauffeur, en bref, il fournit tout ce qu’il faut à un journaliste, voire à un militaire, pour survivre et travailler en terrain hostile. C’est un intermédiaire, un arrangeur qui possède de multiples savoirs et techniques. Son principal domaine d’action se situe donc dans des situations de conflit qui exigent une intervention bilingue, entre deux langues mutuellement inintelligibles.

Le fixeur n’est pas pour autant une profession ou un métier, mais une position très ancienne et qu’on trouve déjà au Moyen Âge. Le séminaire a donc proposé l’analyse du fixeur comme dispositif, résolument et médiéval et contemporain, dans une forme de passage intelligible entre les deux époques. De manière générale, le séminaire interrogeait notre rapport au monde : est-il immédiat ou passe-t-il par des intermédiaires ?

La première leçon du séminaire, intitulée « Fixeurs, passeurs, lieux de passage : corps, textes et réseaux » a porté sur la définition des fixeurs, théorique et historique : – Les fixeurs existaient-ils au Moyen Âge ? – Pourquoi préférer ce terme au « passeur » ou à l’ « interprète » ? Pour comprendre l’absence des corps et des personnes dans l’étude du Moyen Âge, dont on a préféré majoritairement l’étude des textes, ont été abordés les clivages entre les disciplines de l’histoire (de la première modernité) et de la littérature (du Moyen Âge), et le statut canonique de « La tâche du traducteur » de Walter Benjamin et son rejet de la communication comme objectif de la traduction. À la place, quelle version de l’histoire du Moyen Âge peut-on écrire, quand le traducteur médiéval (travaillant sur l’ordre du prince, enfermé dans son étude) devient le fixeur (et sort dans le monde guidé par son propre désir et le marché) ? Et quand, par conséquent, la transmission des savoirs dépend de la communication rudimentaire et devient un réseau d’intermédiaires et l’impulsion à l’action ? L’exemple de Marco Polo en tant que fixeur a servi de fil conducteur dans cette première leçon qui se clôt sur son exemple, car la traduction latine du Devisement du monde de Marco Polo a incité Christophe Colomb à partir vers l’ouest en 1492.

Zrinka Stahuljak est invitée par l'Assemblée des professeurs, sur la proposition du professeur Patrick Boucheron, titulaire de la chaire Histoire des pouvoirs en Europe occidentale (XIIIe - XVIe siècle).