Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Le catalogue de la bibliothèque de l’Institut Warburg à Londres constitue une thèse à lui seul, une véritable vision du savoir. Ce catalogue est organisé en quatre catégories : image (ou l’histoire de l’art), parole (la littérature et les textes antiques), orientation (la pensée occidentale, des croyances magiques à la religion, la science et la philosophie), et action (l’histoire et les sciences sociales). Ce qui est ici tout à fait remarquable c’est la coïncidence d’un classement intellectuel et d’une géographie de la bibliothèque : passer d’un étage à l’autre, c’est monter de l’image à la parole, puis de la parole à l’orientation, et enfin de l’orientation à l’action. C’est tout le substrat de la conscience occidentale qui est ainsi cartographié dans un immeuble bibliothèque : on part des représentations mentales les plus brutes (les images), on les purifie par le langage, on élabore ainsi des représentations du monde, et enfin on construit une société. La bibliothèque Warburg se propose ainsi comme la représentation dynamique de la conscience humaine en évolution. Et quant à l’atlas Mnémosyne, c’est aussi une représentation du cerveau d’Aby Warburg en personne.

La bibliothèque Warburg est un exemple extrême d’une bibliothèque organisée sur le modèle d’un esprit, sur le modèle d’une représentation du monde. Elle ne fait qu’illustrer le cas général : tout classement des livres procède d’une vision mentale.

Cette affinité de la bibliothèque avec le fonctionnement de la mémoire a été affirmée de manière patente par Gabriel Naudé, un des plus grands noms de la tradition bibliothéconomique française et européenne, à l’âge classique, familier des cercles libertins. Naudé récuse avant tout les utopies bibliothécaires de ses prédécesseurs. La plus étonnante de ces utopies bibliothécaires est celle de François Grudé La Croix du Maine, qui, en 1524, dans sa Bibliothèque française, proposait au roi Henri III l’utopie d’une bibliothèque que l’on décrirait aujourd’hui comme panoptique. La démarche de La Croix du Maine est une démarche empirique, et non pas une démarche théorique. Or, l’empirie du savoir déborde de toute part l’idéal de régularité annoncé ; c’est le triomphe du singulier. On peut voir, dans cet échec de La Croix du Maine pour constituer sa bibliothèque de manière régulière et ordonnancée, le symptôme d’une époque débordée par les singularités.