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Dima Alsajdeya, doctorante en relations internationales

Chemins de chercheurs

L’implication et le rôle de l’Égypte dans les tentatives de règlement du dossier israélo-palestinien sous la présidence d’Hosni Moubarak ! Tel est l’objet de recherche de Dima Alsajdeya, doctorante en relations internationales au Collège de France.

Avez-vous toujours été intéressée par les liens entre l’Égypte et la Palestine ?

Dans mon cas, je dirais qu’il s’agit d’une accumulation de plusieurs facteurs qui m’ont amenée vers ces thématiques. J’ai grandi en Palestine et y ai vécu des moments qui ont marqué tant l’histoire de la Palestine contemporaine que ma vie personnelle. J’y étais au moment de la deuxième intifada puis de la division palestinienne, consécutive aux élections législatives de 2006. J’y ai donc connu les couvre-feux et les incursions militaires israéliennes. Sur l’ensemble de la période, il y avait toujours une omniprésence de l’Égypte et de sa médiation. À un moment de la révolution égyptienne de 2011, notamment lors de la commémoration de la Nakba palestinienne au mois de mai, je me rappelle avoir été frappée de voir le drapeau palestinien flotter dans les manifestations. Analyser la dualité de la politique égyptienne, parfois cachée ou apparente, est devenu pour moi une nécessité.
Je pense que l’intérêt n’est jamais le produit d’un instant. La raison qui conduit un chercheur à s’engager sur des terrains aussi sensibles relève à la fois d’un intérêt scientifique pour les sujets traités, pour les pays concernés, ou tout simplement pour les deux. Il s’agit aussi parfois d’une volonté de contribuer personnellement à une cause.

Comment votre travail de recherche est-il organisé ?

Mes recherches actuelles se divisent en deux thématiques principales. La première porte sur le rôle de l’Égypte dans la gestion de la question israélo-palestinienne entre 1981 et 2011, puis pendant la période révolutionnaire et postrévolutionnaire. Je m’intéresse aux moments de rupture et de continuité de cette politique égyptienne vis-à-vis du dossier palestinien. Plus particulièrement, je me concentre sur l’influence et les fonctions de l’intervention égyptienne sur les dossiers de la réconciliation interpalestinienne et de la « désescalade » entre les factions politiques palestiniennes et les autorités israéliennes, et sur celui, transversal, du règlement de la question palestinienne. La deuxième thématique de mes recherches s’intéresse au pouvoir en Palestine. J’essaie d’analyser les sources du pouvoir, ses mécanismes et ses pratiques. On remarque que le pouvoir et la résistance à la domination politique n’ont jamais été vraiment réservés aux élites ou aux institutions. Au contraire, on les retrouve dans des formes et des domaines multiples et plus complexes, parfois même dans la vie quotidienne des Palestiniens.

Dans quelle discipline vous inscrivez-vous ?

Je travaille à la chaire Histoire contemporaine du monde arabe, dirigée par le Pr Henry Laurens. Nous ne sommes pas tous des historiens. La majorité d’entre nous est issue d’une formation multidisciplinaire qui combine principalement l’histoire, la science politique, la sociologie politique et les relations internationales. Ma recherche s’inscrit dans les relations internationales. Nous travaillons à la fois sur des archives et sur des informations récoltées sur le terrain, par exemple des entretiens, des documents de travail, des analyses de discours, etc. L’histoire aide à éclairer et à guider cette recherche empirique.

Comment travaillez-vous avec le Pr Laurens ?

En ce moment, nous travaillons ensemble à la préparation de son cours de la rentrée prochaine – qui portera sur les crises d’Orient durant la période comprise entre 1949 et 1965. Généralement, je l’assiste dans le cadre de ce cours annuel, notamment pour lui fournir de la documentation, mais mon rôle s’arrête là. Je suis davantage impliquée dans les autres activités de la chaire qui concernent la diffusion de la recherche, la gestion des conférences, des colloques ou des journées d’étude. Nous prévoyons par exemple, pour l’année à venir, plusieurs manifestations scientifiques avec différents partenaires.

Comment décririez-vous votre quotidien de chercheuse ?

Les journées sont dépendantes de la période de l’année. Actuellement, l’essentiel de mon temps est consacré à la finalisation de la rédaction de ma thèse. Toutefois, en fonction des moments, je suis souvent amenée à préparer des cours, des interventions dans des colloques, des publications, et surtout à organiser toutes les activités que je mène au sein de la chaire.

Pour votre thèse, les sources étrangères sont importantes. N’est-ce pas difficile d’y accéder ? Quels documents sont concernés ?

L’accès aux sources administratives ou institutionnelles palestiniennes et égyptiennes est une grande question. Elles auraient été d’une aide précieuse, à n’en pas douter. Cependant y avoir accès est extrêmement délicat. Une enquête en Palestine est menée non seulement sous occupation militaire, mais aussi dans un contexte autoritaire. On est confronté à la superposition des institutions, à l’absence de conservation des archives et parfois à leur destruction par les Israéliens. Si l’on regarde comment cela se déroule sur le terrain, on observe la prévalence des appareils sécuritaires qui fait passer l’Égypte et la Palestine du côté des terrains dangereux. Par ailleurs, il existe une autre contrainte pour moi : enquêter chez soi est une mission loin d’être facile, car la proximité avec son terrain implique d’autres contraintes et influence l’expérience sensorielle et vécue.
Pour toute une partie de la période des trente ans de la présidence d’Hosni Moubarak, j’ai basé mes recherches sur les archives françaises. J’ai donc remplacé ces documents palestiniens et égyptiens par ceux d’un acteur, certes moins impliqué, mais qui permet d’obtenir les mêmes informations, ou similaires, de manière incidente. Les archives américaines et israéliennes sont aussi parfois très intéressantes. Il y a bien évidemment les entretiens avec les protagonistes extérieurs et intérieurs, lorsqu’ils étaient possibles. Je me suis également penchée sur la presse arabe, française et anglaise. Il y a enfin ce qu’on appelle la « littérature grise » correspondant à un ensemble de documents produits par différents acteurs, institutionnels ou privés. Voilà ce qu’il est possible de faire, même en l’absence d’un accès aux sources directes.

Quels sont les enjeux et les conséquences possibles d’une recherche sur des événements aussi actuels ?

Je penserais plutôt à cette question en matière d’importance. Je dirais que l’importance du travail que nous menons à la chaire Histoire contemporaine du monde arabe se mesure sur deux plans. Sur le plan de la connaissance, cela réside dans notre capacité à documenter d’une façon précise ce qui s’est déroulé dans un passé qui est en réalité très présent. Même si, bien évidemment, ces analyses sont susceptibles de prendre une tout autre direction. Dans des pays où les archives sont presque inexistantes, une étude détaillée sur des événements peut combler partiellement ce vide.
Le deuxième plan, probablement plus pratique, concerne la compréhension des sujets qui font partie de la vie des gens au Moyen-Orient. La majorité des États de cette zone géographique est, il ne faut pas l’oublier, autoritaire. La circulation de l’information et la vérification de celle-ci constituent parfois des missions impossibles.
Une recherche scientifique accessible peut aider l’opinion publique à saisir les enjeux du pays et les enjeux stratégiques de la région. Sur un sujet comme celui de ma thèse, je pense qu’il existe une dualité de la politique égyptienne qui mérite d’être comprise dans toute sa complexité.

Quelle est votre vision de la place actuelle de l’Égypte dans la grande recomposition géostratégique en cours au Moyen-Orient ?

Je dirais que la politique égyptienne, pendant la période de la présidence d’Hosni Moubarak que j’étudie, a connu des moments de continuité et de rupture, aussi bien sur la question palestinienne que sur d’autres dossiers. Il y a eu une adaptation et un pragmatisme dans le processus de prise de décisions. Le régime égyptien avait pour objectif premier de préserver la place centrale qu’il occupait au sein du monde arabe. Ce rôle a été contrarié après la signature du traité de paix avec Israël en 1979, qui a entraîné son expulsion de la Ligue arabe pendant dix ans. Ce qui est intéressant à observer, c’est que l’une des ambitions principales de l’État égyptien depuis les années 1980, au-delà bien sûr du maintien du régime, a été de conserver le prestige de l’Égypte et sa vocation de puissance régionale. Aujourd’hui, elle peine un peu à trouver un rôle qui pourtant semblait être « évident » et « naturel » à un moment donné de l’histoire.

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Dima Alsajdeya est chercheuse associée à la chaire Histoire contemporaine du monde arabe du Pr Henry Laurens. Elle est également doctorante au sein du centre Thucydide à l’Université Paris Panthéon-Assas sous la codirection du Pr Julian Fernandez et du Pr Henry Laurens. Sa thèse porte sur la question israélo-palestinienne dans la politique étrangère égyptienne du régime d’Hosni Moubarak (1981-2011).

Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par Aurèle Méthivier