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Sonia Taïb, postdoctorante en biologie neurovasculaire

Chemins de chercheurs

Des vaisseaux sanguins enfouis dans des nerfs ! Tel est l’objet de recherche de Sonia Taïb, postdoctorante au Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (CIRB) du Collège de France.

Photo Sonia Taïb

Que signifie le terme « neurovasculaire » ?

Cela désigne les interactions entre le système nerveux et le système vasculaire. Dans le corps, nous avons le système nerveux, avec le cerveau, la moelle épinière et les différents nerfs qui contrôlent les mouvements et réceptionnent les signaux sensoriels. Et nous avons le système vasculaire sanguin qui permet de transporter le sang chargé en oxygène et en nutriments vers les différents organes et tissus, pour leur survie.

Ce sont deux systèmes qui peuvent nous paraître indépendants, mais lorsqu’on y regarde de plus près on distingue d’importantes similitudes, particulièrement au niveau de leur localisation. Par exemple, à des endroits donnés du corps, des vaisseaux sont alignés à des nerfs. On peut donc examiner leur communication moléculaire : quels sont les échanges de molécules entre les deux systèmes et comment s’influencent-ils, notamment au début de la croissance d’un individu ?

La biologie neurovasculaire considère aussi les contextes pathologiques : le rôle des vaisseaux sanguins dans des maladies cérébrales ou inversement le rôle des nerfs dans des affections cardiaques.

Dans mon laboratoire, chacun a son projet dans l'une de ces thématiques et leurs diverses applications.

Pourquoi avez-vous choisi la biologie ?

Depuis toute petite, je suis fascinée par le corps humain et son fonctionnement. Mon père travaillait dans une entreprise d’édition et il m’apportait souvent des livres. Un en particulier, qui expliquait un peu toutes les choses qui se passent dans notre corps, m’a marquée. À cette époque, je ne connaissais pas du tout le métier de chercheur. Mon but a été alors de devenir médecin, et naturellement je me suis orientée vers les études de médecine.

Après le baccalauréat, j’ai fait une première année… et je me suis rendu compte rapidement que ce n’était pas ce que j’imaginais ! Il y avait énormément d’apprentissages par cœur dans un temps restreint et un esprit très compétitif, ce qui ne me correspondait pas. Sans surprise, je n’ai pas eu le concours d’entrée en deuxième année. Toutefois, je me suis très vite relevée et me suis réorientée en licence de biologie, au départ dans l’optique de reprendre la médecine via une passerelle.

Une fois à la faculté, j’ai réalisé finalement que cela me convenait mieux, au lieu d’apprendre par cœur « bêtement », je prenais le temps de comprendre. C’est ce qui me plaisait à l’origine dans la biologie : comprendre le vivant.

photo Sonia Taïb

Vous n’aviez donc plus l’envie d’être docteur en médecine ?

À la fin de ma licence, je me posais encore la question de continuer des études de médecine. Dans le cadre d’une matière sur l’orientation professionnelle, je devais interviewer une personne pour illustrer un métier scientifique. J’avais choisi « chargé de recherche », lequel est, disons, le poste de titulaire classique, et je me suis entretenue avec une chercheuse en neurosciences. Elle m’a vraiment communiqué sa passion pour ce métier.

Par la suite, je l’ai sollicitée pour un stage d’observation qu’elle a accepté. J’ai été une apprentie-chercheuse pendant deux mois, naviguant entre questions scientifiques et expériences pour démontrer des hypothèses. Cela a été une révélation. J’ai décidé de poursuivre en master de neurosciences puis en doctorat au Collège de France, dans l’équipe de la Dr Isabelle Brunet – ma directrice de thèse.

C’est assez drôle, car étant jeune je pensais vouloir soigner les gens, mais en réalité c’est la curiosité qui m’a guidée. Être médecin m’aurait peut-être frustrée.

Votre thèse portait sur la vascularisation intranerveuse : de quoi s’agit-il ?

Comme son nom l’indique, elle représente les vaisseaux sanguins à l’intérieur des nerfs périphériques. Un nerf périphérique est une espèce de câble qui connecte le cerveau et la moelle épinière au reste du corps.

Quand je suis arrivée au sein du laboratoire d’Isabelle Brunet, d’abord pour mon stage de master 2, le projet venait de démarrer. C’était tout nouveau, ma mission était d’éplucher la littérature et de produire les premiers résultats.

Le premier axe consistait à étudier comment les vaisseaux à l’intérieur des nerfs se mettent en place au cours du développement embryonnaire. En réalité, pas mal de chercheurs ont mis en évidence les mécanismes de formation des vaisseaux sanguins ou du cerveau, mais il n’y avait pratiquement aucune donnée dans la littérature au sujet des vaisseaux dans les nerfs.

J’ai donc caractérisé les étapes successives de cette vascularisation intranerveuse, au stade embryonnaire, en utilisant un modèle expérimental de nerf sciatique. C’est le plus long nerf du corps, il part du bas de la colonne vertébrale au niveau lombaire et descend tout du long de la jambe.

Qu’avez-vous constaté ?

Chez un embryon de quinze jours après la fécondation, le nerf sciatique ne présente aucune vascularisation. Seulement un jour plus tard, quelques petits vaisseaux entrent. Ces derniers ne viennent pas de nulle part : à partir de vaisseaux déjà existants, de nouvelles branches se forment, comme dans un arbre, dès que le corps a besoin de plus de vascularisation – lorsqu’un organe grandit par exemple.

Parallèlement, j’ai déterminé qu’elles étaient les cellules du nerf qui guident et régulent cette vascularisation. Cela fonctionne toujours ainsi : certaines cellules produisent des molécules qui attirent les vaisseaux, et d’autres les repoussent afin d’aboutir à un réseau vasculaire précis, adapté aux besoins de l’organe.

Image d'un nerf prise au microscope à fluorescence. En bleu, les axones (neurones) ; en rouge, les cellules endothéliales (vaisseaux sanguins). © Sonia Taïb

Le deuxième axe de votre thèse aborde les interactions neurovasculaires dans des contextes de pathologies…

Mon équipe s’est intéressée à une neuropathie périphérique chimiquement induite. Pour décomposer : « neuropathie » signifie maladie qui touche le système nerveux ; « périphérique » parce que ce sont les nerfs périphériques qui sont impactés ; et « chimiquement induite », car cette pathologie est un effet secondaire d’une molécule chimique. En l’occurrence un médicament nommé oxaliplatine, utilisé en chimiothérapie contre le cancer colorectal.

C’est un traitement efficace, mais malheureusement dans plus de 80 % des cas les patients développent une neuropathie. Cette dernière provoque des symptômes invalidants : une hypersensibilité au froid et au toucher. Prendre simplement un objet dans son réfrigérateur cause des douleurs anormales. Souvent, la seule solution est de diminuer ou d'arrêter complètement la thérapie anticancéreuse. Il n’existe aucun réel traitement contre cette neuropathie, ni préventif ni curatif.

Partant de là, nous avons entamé notre réflexion. L’oxaliplatine est administrée par voie intraveineuse, et ensuite exerce à toxicité au niveau des neurones présents dans les nerfs. Nous nous sommes demandé : comment cette molécule passe-t-elle des vaisseaux sanguins aux neurones et quel est le rôle de la vascularisation intranerveuse dans le contexte des neuropathies périphériques chimiquement induites ? Des résultats prometteurs sont en cours d’élaboration…

Où en êtes-vous actuellement ?

Depuis l’obtention de mon diplôme, je continue mes recherches au Collège de France afin de finaliser la publication de mes travaux, et d’accompagner la doctorante qui prend ma suite sur la question de la neuropathie induite par l’oxaliplatine.

Concernant ma thèse, je pense que j’ai été plutôt chanceuse. La science expérimentale est difficile par principe, mais mon environnement a rendu les épreuves plus faciles à surmonter. Grâce à ma directrice, je suis intervenue dans pas mal de congrès, dont des congrès internationaux et prestigieux, et ce, dès ma première année, ce qui n’est pas donné à tout le monde. À ces occasions, j’ai même reçu quelques prix. C’était très motivant !

Désormais, mon projet est de partir en postdoctorat à Toronto, pour compléter ma formation sur la biologie vasculaire. Faire carrière dans le secteur public est de plus en plus compliqué, mais je souhaite rester dans le milieu académique, et, à terme, pourquoi pas, devenir maître de conférences, car l’enseignement m’intéresse beaucoup. Lors de mon doctorat, j’ai eu l’occasion de donner des cours de base de biologie à des étudiants en L1 de psychologie. Cette expérience, quoique stressante, m’a beaucoup plu. Transmettre le savoir est vraiment important et satisfaisant.

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La Dr Sonia Taïb travaille au CIRB, dans l'équipe Contrôle moléculaire du développement neurovasculaire dirigée par la Dr Isabelle Brunet.

Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par Océane Alouda