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Une nouvelle datation des plus anciens vestiges d'« Homo sapiens » sur le continent européen témoigne d'une transition culturelle précoce en Europe, antérieure à 45 000 ans

Le réseau scientifique européen impliqué dans ces travaux associe deux professeurs du Collège de France et leurs équipes : Jean-Jacques Hublin, professeur à l’Institut Max-Planck d’Anthropologie de l’évolution de Leipzig et titulaire de la chaire internationale de Paléoanthropologie ainsi qu’Édouard Bard, titulaire de la chaire Évolution du climat et de l’océan.

Parures et outils en os de la grotte Bacho Kiro (à gauche) et de la grotte du Renne (à droite). - © Rosen Spasov et Geoff Smith, licence : CC-BY-SA 2.0.

Deux études publiées cette semaine dans les revues Nature et Nature Ecology & Evolution rapportent la découverte de restes humains, de gibier, d’outils en os et en pierre ainsi que de bijoux attribués à Homo sapiens et leur datation. Ces restes d’hominines fossiles qui proviennent de la grotte de Bacho Kiro en Bulgarie sont le plus ancien exemple européen connu attestant la présence d’Homo sapiens au Paléolithique supérieur [1].

Arrivés en Europe il y a environ 45 000 ans, les hommes modernes (H. sapiens) ont peu à peu pris la place occupée par les Néandertaliens. Cette période de remplacement de la population est connue sous le nom de transition du Paléolithique moyen au Paléolithique supérieur. Le déroulement précis des événements au cours de cette période de transition fait l’objet de nombreux débats aujourd’hui, principalement en raison du peu de restes fossiles faisant l’objet d’une datation directe, précise et fiable.

Dans l’article publié par la revue Nature, Jean-Jacques Hublin et ses collègues décrivent des restes d'hominines et des artefacts découverts dans la grotte de Bacho Kiro en Bulgarie. Parmi ceux-ci figure une dent qui a été attribuée à H. sapiens, ainsi que quatre autres restes osseux identifiés comme appartenant à des humains grâce au collagène et à l’ADN qu’ils recèlent encore.

Une première datation au carbone 14, décrite dans l'article que publie la revue Nature Ecology & Evolution, suggère une tranche d'âge comprise entre 46 940 et 43 650 ans. Une seconde méthode, basée sur l'analyse de l'ADN mitochondrial extrait de ces ossements, donne des estimations allant de 44 830 à 42 616 ans, et corrobore la datation au carbone 14.

Ces fouilles ont également mis à jour un certain nombre de parures, comprenant des pendentifs en dents d'ours qui ressemblent à ceux trouvés dans d’autres sites plus récents associés à une activité néandertalienne. Ces résultats montrent que les humains modernes se sont étendus aux latitudes moyennes de l'Eurasie avant 45 000 ans. Chevauchant l’aire de répartition des Néandertaliens, ils ont donc exercé une influence sur le comportement de ces derniers avant de les remplacer.

Datation de restes humains attestant la présence des premiers hommes modernes en Europe : une collaboration entre l’Institut Max-Planck (Leipzig) et le CEREGE d’Aix-en-Provence.

Pour les objets les plus rares et les plus précieux de l'archéologie, notamment les restes humains, les outils et sculptures en os, la destruction des échantillons nécessaires à la datation classique utilisant la spectrométrie de masse par accélérateur (SMA) causerait des dommages irréparables. La source d'ions à CO2 gazeux du spectromètre AixMICADAS permet de s’affranchir de cette contrainte grâce à la très petite taille échantillons, qui représentent de 5 à 50 microgrammes de carbone et contiennent de l’ordre de quelques zeptomoles de 14C (Tuna et al. 2018). AixMICADAS a été installé récemment (Bard et al. 2015) sur le campus du Technopôle de l’Arbois dans le cadre du projet EQUIPEX ASTER-CEREGE conduit par le CEREGE (UMR Aix-Marseille Université, CNRS, IRD, INRAE, Collège de France).

L'Institut Max-Planck d'Anthropologie de l’évolution de Leipzig (Helen Fewlass et Sahra Talamo du département d’évolution humaine dirigé par Jean-Jacques Hublin) et le CEREGE (Thibaut Tuna et Yoann Fagault, chercheurs rattachés à la chaire Évolution du climat et de l’océan du Collège de France occupée par Édouard Bard) ont développé une nouvelle approche pour dater le collagène purifié à partir d’ossements humains. La première étape a consisté à établir une méthode optimale de synthèse du CO2 à partir du collagène au moyen d’un analyseur élémentaire et d’un piège à zéolite couplé à la source d'ions d'AixMICADAS (Fewlass et al., 2018, 2019a). Dans un second temps, cette nouvelle méthode a été utilisée pour dater des échantillons de collagène purifié à partir de fragments de restes humains provenant de sites célèbres comme la triple sépulture humaine de Dolni Vestonice en République tchèque (Fewlass et al. 2019b) et la grotte de Bacho Kiro en Bulgarie (Fewlass et al. 2020), pour laquelle les mêmes ossements humains datés par 14C ont fait l’objet d’analyses génétiques et protéomiques (Hublin et al. 2020).

Ainsi, la source d'ions à CO2 gazeux d’AixMICADAS, qui permet de travailler sur de très petits échantillons, donne la possibilité d’améliorer la purification des os et des charbons, ce qui constitue une véritable révolution pour la datation des sites archéologiques.

Références des deux publications

Hublin JJ, Sirakov N, Aldeias V, Bailey S, Bard E, Delvigne V, Endarova E, Fagault Y, Fewlass H, Hajdinjak M, Kromer B, Krumov I, Marreiros J, Martisius N, Paskulin L, Sinet-Mathiot V, Meyer M, Pääbo S, Popov V, Rezek Z, Sirakova S, Skinner MM, Smith GM, Spasov R, Talamo S, Tuna T, Wacker L, Welker F, Wilcke A, Zahariev N, McPherron SP, Tsanova T. Initial Upper Palaeolithic Homo sapiens from Bacho Kiro Cave, Bulgaria. Nature, DOI: http://www.doi.org/10.1038/s41586-020-2259-z (2020).

Fewlass H, Talamo S, Wacker L, Kromer B, Tuna T, Fagault Y, Bard E, McPherron SP, Aldeias V, Maria R, Martisius NL, Paskulin L, Rezek Z, Sinet-Mathiot V, Sirakova S, Smith GM, Spasov R, Welker F, Sirakov N, Tsanova T, Hublin JJ. New 14C chronology for Middle–to–Upper Palaeolithic transition at Bacho Kiro Cave, Bulgaria. Nature Ecology & Evolution, DOI: http://www.doi.org/10.1038/s41559-020-1136-3 (2020).

Note

[1] La revue scientifique hebdomadaire Nature a consacré sa couverture à cette découverte (Numéro 78080 en date du 21 mai 2020https://www.nature.com/nature/volumes/581/issues/7808