L’analyse iconographique du mystère de l’hostie profanée représenté par Paolo Uccello dans la prédelle d’Urbino (1467-1468) permet de poser la question de la mise en scène du théâtre eucharistique, du statut de l’emblème, mais aussi de la réversibilité de la fiction politique : entre la bête et le souverain, entre les sauvages du Nouveau Monde et l’ensauvagement de l’Ancien Monde. Demeure toutefois une question : pourquoi faut-il, à certains moments, rendre visible, pourquoi la pensée devrait-elle parfois s’immobiliser dans les images ? C’est devant un événement de pensée qui est aussi un événement visuel que la réflexion connaît son coup d’arrêt : le frontispice du Léviathan de Thomas Hobbes (1651). Nous revoici donc face au monstre : va-t-il nous dévorer ou nous incorporer ? Et pourquoi Hobbes ne peut-il penser l’État sans en créer l’image ? L’analyse s’interroge, avec Louis Marin, sur les enjeux de la forme même du frontispice, donnant à voir en façade du livre l’inscription d’un nom illisible. Elle questionne ensuite, avec Quentin Skinner, les modalités de l’éloquence visuelle dans les différents traités de Hobbes – où l’on retrouve la critique républicaine et le pouvoir cannibale.
21 fév 2017
11:00 - 12:00
Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
En libre accès, dans la limite des places disponibles
Intervenant(s)
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Sommaire
- Pourquoi faut-il, à certains moments, rendre visible ?
- L’histoire des images comme histoire des immobilisations, « Lorsque la pensée s’arrête tout d’un coup dans une constellation saturée de tensions » (Walter Benjamin)
- Retour en images sur du déjà-vu : dévisager la gueule du tyran
- Iconologie politique et art des emblèmes : les Emblemata d’André Alciat (1531)
- Qu’est-ce qu’un emblème pour Alciat ? « Une espèce particulière d’épigramme », soit « un objet pris à l’histoire ou à la nature susceptible de recevoir un sens ingénieux »
- La réversibilité de toute fiction politique : les deux corps du roi et l’habeas corpus
- Iconologie, iconoclasme, iconoclash (Bruno Latour) : la destruction de la statue équestre de Louis XV d’après Louis-Sébastien Mercier, « tout était creux, puissance et statue »
- Retour sur la société eucharistique d’après le Retable des Sept sacrements peint en 1445 par le flamand Rogier Van der Weyden : système social, système spatial, régime du visible
- Urbino, retable du maître-autel de l’église du Corpus domini, Jean de Gand (1473-1474) : Jésus distribuant l’eucharistie aux Apôtres
- Rendre visible la fiction théologique : le Miracle de l’hostie profanée, prédelle du retable, Paolo Uccello (1467-1468)
- Six scènes, un film, le précédent parisien du miracle des Billettes (Pierre Francastel, Revue archéologique, 1952)
- Un « théâtre eucharistique dans lequel les juifs médiévaux sont enrôlés pour une illustration doctrinale » (Jean-Louis Schefer, L’hostie profanée. Histoire d’une fiction théologique, Paris, 2007)
- Le monstre politique, génération fictionnelle (Dom Calvet, Dissertation sur les revenants en corps, les excommuniés et les vampires…, Paris, 1751)
- La pathologie politique comme déséquilibre des substances entre l’âme et le corps
- L’exacerbation du marquage symbolique dans les images du meurtre rituel de Simon de Trente (1475) par contraste avec « cette espère de “bougé” des ressemblances, ce flou des similitudes » (Jean-Louis Schefer) dans la prédelle d’Urbino
- Le souverain, bête de Cène (retour sur le rêve de Louis VII, Grandes Chroniques de France, BnF, ms fr. 2813)
- Sauvages du Nouveau Monde, ensauvagement de l’Ancien Monde : la mobilité des gravures de la Brève relation de la destruction des Indes de Las Casas (1598) et l’ubiquité de la barbarie
- Nous revoici donc face au monstre : Léviathan (1651) : va-t-il nous dévorer ou nous incorporer ? Et pourquoi Thomas Hobbes ne peut-il penser l’État sans en créer l’image ?
- Événement de pensée, événement visuel : Thomas Hobbes « inscrit notre félicité à même l’inquiétude de nos vies désirantes » (Luc Foisneau, Hobbes. La vie inquiète, Paris, 2016)
- Une grosse bête monte la garde, mais c’est nous-mêmes qui, en lui obéissant, lui donnons les moyens de nous garder
- Le frontispice fait écran : « la face et principale entrée d’un grand bâtiment qui se présente de front aux yeux des spectateurs » (Furetière)
- Les enjeux du frontispice d’après Louis Marin : donner à voir l’inscription d’un nom illisible
- Hobbes humaniste : la traduction des Huit livres de la Guerre du Péloponnèse de Thucydide en 1629 et son frontispice
- L’éloquence visuelle, la délibération des aristoi spartiates et la harangue aux citoyens athéniens
- « Une démocratie, en fait, n’est rien de plus qu’une aristocratie d’orateurs, interrompue parfois par la monarchie temporaire d’un seul orateur » (Thomas Hobbes, Éléments de la loi naturelle et politique, 1640)
- Quand le dictateur est dicté par la foule qu’il subjugue : comprendre Hobbes en identifiant ce qu’il combat (Quentin Skinner, Hobbes et la critique républicaine, Paris, 2008)
- Ce qui demeure de la liberté sous l’emprise de l’arbitraire
- Les trois champs du frontispice du De Cive (1642) : le ciel, l’empire et la liberté
- L’état de nature et de liberté, où « n’importe qui peut de droit dépouiller et tuer autrui » : chasse à l’homme et retour des cannibales
- Le rideau rend visible le fait que tout n’a pas encore été montré : la représentation n’est pas terminée