Dario Mantovani est un juriste historien. Ses travaux portent principalement sur le droit romain en tant que technique de pensée, outil de gouvernement des rapports sociaux et expression de la société romaine.
Si l’on considère l’emprise que le droit romain a exercée, à partir du XIe
Depuis 2018, Dario Mantovani est professeur titulaire de la chaire
Votre chaire au Collège de France s’intitule «
Dario Mantovani

Dans vos travaux, vous essayez d’avoir, dites-vous, un point de vue interne sur le droit romain. Qu’entendez-vous par là
Lorsque je lis les textes qui constituent le droit romain, j'essaie d'adopter le cadre mental de leurs auteurs. J’applique aux hommes et femmes de l’Antiquité la «
Je ne cherche pas à comparer la société contemporaine à la société romaine, car il faudrait trouver un point de comparaison, ce qui risquerait de les uniformiser artificiellement. Mais se poser la question de ce qui est comparable aide justement à libérer le droit romain des diverses déformations qui lui ont été imposées au fil du temps.
Votre corpus de recherche est constitué des textes des juristes romains. De quoi s’agit-il exactement
Les juristes romains étaient des particuliers qui se distinguaient simplement par leur expertise, par un savoir qui leur était spécifique. Aristocrates, appartenant à l’élite romaine, ils pouvaient consacrer une partie de leur temps à répondre à des questions de droit. Cette activité leur permettait sur le plan personnel de gagner une clientèle et, sur le plan collectif, de contribuer à la gouvernance de la cité. Les juristes entamaient souvent une carrière politique et, pour devenir préteurs ou consuls, avaient besoin du vote du peuple. Cet échange de savoir contre le soutien matériel et politique d’un cercle de clients était typiquement aristocratique
Après avoir été consultés par les magistrats, certains juristes, qu’on peut appeler les «

C’est par le Digeste que ces textes nous sont principalement parvenus
Oui
Par ailleurs, au Moyen Âge, à la Renaissance et jusqu’au XVIIIe
Pourquoi le Digeste est-il si important aujourd’hui encore
Comparé aux autres textes du Corpus juris civilis, le Digeste a la particularité de contenir des raisonnements, ceux des juristes que j'ai mentionnés plus haut. Cette pensée a été comprise, et continue de l’être, comme le droit issu «
Le corpus juridique romain, c’est aussi des fragments de textes indépendants des textes de Justinien. Vous avez dirigé une recherche collective qui a permis d’enrichir considérablement ce corpus…
Avec de jeunes et brillants papyrologues, au sein du programme RedHis, financé par le Conseil européen de la recherche (CER), nous avons exploré les collections papyrologiques du monde entier à la recherche de papyrus et de parchemins des textes juridiques romains. Nous avons presque doublé le nombre de fragments de copies de livres juridiques connus à ce jour. Cela a permis de démontrer que, même si vers 300 apr. J.-C. les juristes romains ont cessé de produire de nouveaux ouvrages, il y a eu dans l’Antiquité tardive une intense circulation de la littérature juridique des époques précédentes. Jusqu’ici, on pensait que l’Antiquité tardive était une période de rupture où les ouvrages des juristes n’étaient pas bien compris. Notre recherche démontre le contraire
Vous évoquez dans vos recherches les «
Nous vivons à l’ère du numérique, ce qui simplifie la recherche des occurrences. Mais au-delà de cet aspect pratique, il faut être ouvert aux résonances entre les textes. Quand on fait de l’histoire du droit, on imagine qu’il faut connecter le droit à la société qui l’entoure, mais cela s'avère difficile, car ce sont deux choses différentes

Les écrits des juristes romains révèlent un droit perpétuellement en train de s’écrire, souvent à plusieurs siècles d’écart. Cette façon de produire le droit est-elle éloignée de notre pratique contemporaine du droit
Du point de vue idéologique, les juristes romains étaient des conservateurs acharnés

Votre regard de juriste historien sur notre époque contemporaine est large. Il vous conduit à questionner les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), et notre relation à la nature...
J’ai eu l’impression, en plongeant dans le dernier rapport du GIEC, de lire La République de Platon ou le traité Des lois de Cicéron
Quant à notre relation à la nature, ce qui m'intéresse est de faire le lien avec le droit romain. Ce dernier est le berceau de l’idée de droit de nature, le ius naturale, qui est un courant de la pensée juridique moderne et aussi à la base de la théorie des droits de l’homme. Nous vivons une transition juridique, pas seulement écologique
Propos recueillis par Catherine de Coppet