Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Comment fonder une société politique chrétienne dès lors que le bois de la croix est, selon la belle formule de Jacques Dalarun, « la charpente et l’écharde des sociétés médiévales » ? Le cours pose la question à partir de la mise à l’épreuve du christianisme par les missionnaires jésuites au Japon au XVIIsiècle. Mais il s’agit surtout de proposer, à partir de l’expérience politique de Grandmont, une grammaire de l’expérimentation politique qui peut se décliner en huit règles de base. Toute expérimentation politique est une expérience existentielle (1) et le lien qu’elle instaure est de répétition et non de fondation (2). Pour aiguiser le sens de la communauté (3), on construit le consensus en isolant la pars minor (4) : tel est le lien de division (5) qui caractérise les expérimentations médiévales. Or, pour que durent les institutions (6), il faut tenir compte à la fois de la réversibilité des expériences politiques (7) et de leur capacité à changer d’échelle pour constituer une utopie plausible (8). C’est sur cette notion de scalabilité, pensée depuis les propositions d’Anna Tsing, que s’achève provisoirement le cours, déplaçant l’interrogation de l’anthropologue du contemporain sur les « bords broussailleux des ruines du capitalisme » vers le dilemme médiéval face aux ruines de l’Empire romain.

Sommaire

  • La charpente et l’écharde : retour sur l’étonnement des Japonais face aux missionnaires jésuites
  • « Ils disent aussi qu’il mourut cloué par de mauvais fonctionnaires sur un échafaudage en forme de caractère dix. Comment peut-on appeler maître du Ciel un barbare supplicié ? » (Proclamation faisant suite à l’arrestation de l’association hétérodoxe, 1616 cité par Jacques Gernet, Chine et christianisme. La première confrontation, Paris, 1982)
  • Le pari réussi de Sumitada et l’expérimentation politique des kirishitan daimyô
  • « Le paradoxe du christianisme médiéval comme idéologie est qu’à la fois il sécrète l’écart et permet la résorption de l’écart dans une norme renouvelée […] Ce jeu sécrète du doute, de l’insatisfaction, de l’innovation » (Jacques Dalarun, Gouverner c’est servir. Essai de démocratie médiévale, Paris, 2012)
  • L’histoire des sociétés urbaines de l’Italie communale comme « l’histoire d’une capacité de création, d’une possibilité d’altérité » (Élisabeth Crouzet-Pavan, Enfers et paradis. L’Italie de Dante et de Giotto, Paris, 2001)
  • La différence, la répétition et l’esthétisation du pouvoir
  • Des « images-limites » (Jérôme Baschet) aux « situations-limites »
  • « Le champ des énoncés n’est pas un ensemble de plages inertes scandé par des moments féconds ; c’est un domaine qui est de bout en bout actif » (Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, 1969)
  • De la règle de Grandmont aux huit règles d’une grammaire de l’expérimentation politique
  • L’aspiration à la règle de vie : toute expérimentation politique est une expérience existentielle (1)
  • Quand il n’y a rien ni personne à commémorer : un lien qui est de répétition, et non de fondation (2)
  • Aiguiser le sens de la communauté (3)
  • Construire le consensus et isoler la pars minor (4)
  • « Les États ne s’ordonneront jamais sans danger » (Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live) : le lien de division (5)
  • De l’effraction à l’usure : comment durent les institutions (6)
  • La réversibilité des expériences politiques (7) : la réforme de Rancé, poussée à la limite de l’observance monastique
  • « Ce n’est pas la radicalité de la césure que l’utopie établit avec le monde qui donne en tant que telle la mesure de sa portée protestataire ; c’est la capacité qu’elle conserve d’offrir en même temps à la société qui l’environne le témoignage anticipateur d’une alternative plausible » (Danièle Hervieu-Léger, Le Temps des moines. Clôture et hospitalité, Paris, 2017)
  • Une utopie plausible est susceptible de changer d’échelle (8)
  • La notion de scalabilité (Anna Tsing, Le Champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, trad. fr., Paris, 2017)
  • Sur la capacité de ne pas faire d’histoires : les champignons matsutake nichent dans les ruines d’un rêve
  • « L’Occident médiéval est né sur les ruines du monde romain. Il y a trouvé appui et handicap à la fois. Rome a été sa nourriture et sa paralysie » (Jacques Le Goff, La Civilisation de l’Occident médiéval, Paris, 1964)
  • Le temps mis à l’arrêt : « Le monde entier a été par vous Romains transformé en jardin d’agrément » (Ælius Aristide)
  • Pourquoi les choses ne se sont-elles pas passées comme le pensait l’orateur romain ?
  • Le Moyen Âge est un recommencement : « L’histoire recommence du début, mais elle ne se reproduit pas » (Aldo Schiavone, L’Histoire brisée. La Rome antique et l’Occident moderne, trad. fr., Paris, 2003)
  • Milan, 1117 : « l’archevêque et les consuls ont fait installer deux theatra » (Landulf le Jeune, cité par Chris Wickham, Sleepwalking into a New World. The Emergence of Italian City Communes in the Twelfth Century, Princeton, 2015)
  • Rome, 1162 : la rénovation du Sénat et la préservation de la colonne Trajane « tant que durera le monde »
  • Rome, 1431 : l’Urbs fracta « comme un immense cadavre décomposé » (Le Pogge)
  • Humer les « bords broussailleux » des ruines du passé, là où s’invente aussi la capacité des vivants à se fabriquer les uns avec les autres (Anna Tsing)
  • « Mes chers amis. On nous appelle, on crie vers nous, depuis le très grand âge, pour nous dire de ne pas perdre totalement espoir » (Michel Butor, Ruines d’avenir, Arles, 2016)