Colloque coorganisé par la Pr Samantha Besson, chaire Droit international des institutions et le Pr Henry Laurens, chaire Histoire contemporaine du monde arabe.
Garantie pour la première fois en droit international en 1948 (Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948), l’interdiction du génocide est souvent considérée comme l’interdiction du « crime des crimes ». Contrairement aux autres grands crimes codifiés à nouveau depuis dans les statuts des différents tribunaux pénaux internationaux (dont le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) du 17 juillet 1998), le crime de génocide n’a jamais varié dans sa formulation. En comparaison, et jusqu’à il y a peu, il a aussi été plus rarement invoqué. Ses différents éléments n’ont, dès lors, aussi été que plus rarement interprétés dans la jurisprudence internationale, que ce soit par les tribunaux pénaux internationaux ad hoc comme les Tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda ou l’ex-Yougoslavie ou par la CPI. De cette permanence de la formulation du crime et de son interprétation plus limitée, certains ont déduit une force normative parmi les plus élevées en droit international, une valeur de reconnaissance historique des crimes commis et, c’est lié, un rôle avant tout préventif de son interdiction.
Depuis une vingtaine d’années, toutefois, une évolution significative se fait sentir grâce aux procès pénaux internationaux, puis nationaux pour génocide, notamment en ex-Yougoslavie et au Rwanda. En marge de ces procès, c’est aussi la violation de l’obligation de droit international qu’ont les États de prévenir le génocide qui est invoquée et précisée de manière de plus en plus fréquente en pratique. C’est ainsi que, dès cette période, la jurisprudence de la Cour internationale de justice (CIJ) s’est étoffée autour de l’obligation de prévention du génocide (p.ex. affaires Croatie c. Serbie (1999-2015), Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine (2001-2003), Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (1993-2007)). La clause de compétence de l’art. IX de la Convention de 1948 permet en effet à tout État partie de la Convention de saisir la CIJ d’un différend sur son interprétation. De plus en plus d’États y font recours, y compris afin d’obtenir un accès à la CIJ. C’est ainsi qu’actuellement, cette clause de compétence est au fondement de pas moins de quatre procédures contentieuses contre des États devant la CIJ et, dès lors, de multiples ordonnances et arrêts à venir en lien avec la situation au Myanmar, en Ukraine et à Gaza : Nicaragua c. Allemagne (2024-), Afrique du Sud c. Israël (2023-), Ukraine c. Fédération de Russie (2022-) et Gambie c. Myanmar (2019-).
Face à cette évolution rapide de la pratique internationale en matière de génocide et des nouvelles questions qu’elle soulève pour la conceptualisation du crime des crimes, un bilan juridique et historique s’impose. Étant donné la place centrale donnée à divers titres à l’histoire au sein du raisonnement juridique en matière de génocide (p.ex. au titre de sources coutumières, de preuve, de causalité ou encore d’attribution de comportement, voire de responsabilité), il est intéressant d’y procéder en dialogue avec les historiens. La Convention de 1948 invite d’ailleurs les juristes à se rapprocher des historiens, voire participe à leurs débats, puisqu’elle reconnaît dans son préambule « qu’à toutes les périodes de l’histoire le génocide a infligé de grandes pertes à l’humanité ». L’intérêt d’un tel bilan vaut aussi en histoire, une histoire qui s’écrit d’ailleurs souvent en ou par la justice. La question se pose en outre de l’application du concept (juridique) récent de génocide aux réalités mouvantes de l’histoire, en particulier à un moment et à des endroits où de larges pans du passé sont vécus comme appartenant toujours à notre présent. Il ne s’agit pas de nier l’existence d’exterminations de masses par le passé, mais de déterminer si le concept de génocide apporte un élément supplémentaire de compréhension historique des processus étudiés.
Durant cette journée de rencontre, juristes et historiens, spécialistes du génocide, noueront un dialogue, nous l’espérons, fructueux. Leurs débats seront articulés autour de quatre questions qui sont d’intérêt commun pour la saisie du crime de génocide par les deux disciplines ou pratiques : 1) Interdiction du génocide : des violences et « légendes noires » au crime de droit coutumier ; 2) Auteurs de génocide : individuels, collectifs et/ou institutionnels ; 3) Conditions du génocide : intentions et/ou processus génocidaires ; et 4) Justice et vérité du génocide : « passé qui ne passe pas » et «assassins de la mémoire ». Le traitement de ces questions sera bien entendu l’occasion de revenir sur différents cas de génocide dans l’histoire, y compris dans l’histoire du droit international.
Intervenantes et intervenants : Omer Bartov (université de Brown) ; Monique Chemillier-Gendreau (université Paris Cité) ; Christian Ingrao (CESPRA, École des hautes études en sciences sociales/CNRS) ; Mark Levene (université de Southampton) ; Rafaëlle Maison (IEDP, université Paris-Saclay) ; Jean-Clément Martin (IHMC, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) ; Guénaël Mettraux (Chambres spécialisées pour le Kosovo, La Haye & Dickinson Law School, université d’État de Pennsylvanie) ; William Schabas (université de Middlesex, Londres).