Salle 5, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Selon la perspective « véhiculariste », deux concepts coréférentiels sont le même concept si et seulement si le véhicule (le dossier mental mince) est le même. La conception (le contenu du concept) peut varier, cela n’affecte pas l’identité du concept, car celui-ci est individualisé non par le contenu mais par le véhicule. Reste à dire comment, dans cette perspective, on individualise les dossiers mentaux eux-mêmes. Qu’est-ce qui fait que deux dossiers mentaux coréférentiels sont le même ou qu’ils sont différents ? On ne peut évidemment pas répondre à cette question en invoquant la référence ou la conception véhiculée, car ce serait un retour aux modes d’individualisation du concept qui ont été précédemment rejetés.

En tant que véhicule, le dossier mental mince est un « continuant » : un particulier qui persiste à travers le temps, et notamment à travers la variation des conceptions que le dossier véhicule à différents moments. Une thèse répandue concernant l’individualisation des particuliers invoque l’origine : deux particuliers sont le même s’ils ont la même origine. S’inspirant de Sainsbury et Tye (2012), on peut adapter cette conception au cas des dossiers mentaux, et soutenir qu’un dossier mental est individualisé par l’événement cognitif qui préside à l’ouverture de ce dossier.

Reste que les concepts (et les pensées qui sont des assemblages de concepts) peuvent être partagés entre différents individus. Il n’y aurait pas d’accord ou de désaccord possible entre différents sujets si ce n’était pas le cas. C’est la raison pour laquelle Sainsbury et Tye soutiennent (comme le faisait Frege et comme le font la plupart des philosophes) que les concepts sont une réalité supra-individuelle. Je propose quant à moi d’inverser la terminologie et d’appeler concept plutôt la réalité psychologique de base, c’est-à-dire le dossier mental, individualisé par son origine dans la vie mentale du sujet. Les concepts dans cette perspective ne peuvent être partagés, puisqu’ils appartiennent à la vie mentale d’un individu particulier. Mais on peut définir une notion de « concept partagé » comme classe d’équivalence de concepts privés. Deux concepts privés distincts font partie d’une telle classe d’équivalence, et sont donc des instances d’un seul et même concept partagé, lorsqu’il y a entre eux une certaine relation R, à définir.

Une première théorie possible définit la relation R comme l’appartenance à un même réseau de dossiers mentaux interconnectés grâce à un mot du langage public. Cette façon de concevoir la relation R a certains avantages, mais elle se heurte à une objection majeure : il n’est pas nécessaire de partager un langage pour partager un concept. Dans le cours suivant, d’autres façons de concevoir la relation R sont donc envisagées.