Résumé
Qu’est-ce qui fait d’un concept le concept qu’il est ? Qu’est-ce qui distingue, par exemple, mon concept de tigre de mon concept de chat ? Est-ce ce à quoi le concept se rapporte ou bien est-ce la conception que s’en fait le sujet ? Selon la thèse référentialiste, la première réponse est la bonne. Certes, ces deux choses, la référence et la conception, vont normalement de pair. Mon concept de tigre se rapporte aux tigres ET, pour cette raison même, son contenu inclut les caractéristiques des tigres : les différences objectives, au niveau de la référence du concept, entre les tigres et les chats se reflètent dans les conceptions associées respectivement à ces deux concepts. Mais s’il est vrai que les deux choses – la référence et la conception – vont normalement de pair, elles peuvent ne pas s’accorder, dans la mesure où la conception peut être erronée, voire massivement erronée. Il en va ainsi dans l’exemple des chats-robots évoqué dans le premier cours. Ce type d’exemple suggère que le concept est individualisé par sa référence, déterminée par des facteurs environnementaux, et non par la conception que s’en fait le sujet qui déploie le concept.
L’intérêt du point de vue référentialiste, selon lequel un concept est individualisé par sa référence, est de garantir la stabilité du concept en dépit de la variabilité du contenu. On illustre cette stabilité à partir d’un exemple bien connu, issu des travaux de Tyler Burge : l’exemple du concept d’arthrite qu’un patient ignorant hérite de son médecin malgré la différence radicale de leurs conceptions respectives.
La thèse référentialiste implique qu’il ne peut y avoir deux concepts distincts se rapportant à la même chose (puisque le fait de se rapporter à la même chose ferait automatiquement de ces concepts le même concept). Or, la possibilité d’une pluralité de concepts-types distincts se rapportant à la même chose est une des affirmations bien connues de Gottlob Frege. Pour rendre compte des exemples invoqués par Frege (les « cas frégéens » dont j’ai parlé en détail dans mes cours de 2019 à 2021), on peut tenter de relativiser la thèse selon laquelle il ne peut y avoir deux concepts-types distincts se rapportant à la même chose. Cette thèse s’appliquerait seulement aux concepts « atomiques », qui seraient bien individualisés par leur référence, contrairement aux concepts composés qui sont individualisés par leurs constituants et la façon dont ils sont combinés. Mais la thèse référentialiste ne peut être maintenue, même sous cette forme limitée : il est en effet facile de produire des exemples de concepts atomiques distincts se rapportant à la même chose. L’existence de cas de ce type montre qu’on ne peut individualiser les concepts par leur seule référence : ce que Frege appelle le mode de présentation compte aussi.