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Paul Méhaignerie, doctorant en physique

Chemins de chercheurs

Les interactions quantiques de la matière ! Tel est l’objet de recherche de Paul Méhaignerie, doctorant en physique au Collège de France.

Comment étudie-t-on les interactions quantiques de la matière ?

Je travaille dans un domaine qui s’appelle la simulation quantique. Il a pour but d’étudier en laboratoire des phénomènes quantiques encore peu connus à l’aide d’un « simulateur ». On sait aujourd’hui analyser quelques particules en interaction, mais dès que cela s’étend à beaucoup de particules, cela devient plus complexe. Que cela soit par absence de modèles mathématiques pour les étudier, ou par manque de capacité de calcul pour les simuler sur des ordinateurs. Le principe de la simulation quantique est de les recréer réellement en laboratoire pour donner des pistes d’études aux personnes qui travaillent dessus.
Ces problèmes concernent, par exemple, les propriétés supraconductrices de certains matériaux, l’étude de la forme des protéines biologiques, ou les interactions très fondamentales entre particules élémentaires. Ces problèmes variés sont d’abord étudiés de façon mathématique, jusqu’à un blocage momentané nécessitant l’expérimentation. C’est là que le prototype de simulateur quantique intervient : il a pour but de fournir un système expérimental assez souple et précis pour étudier ces différents types de problèmes.

De quelle manière se présente matériellement un simulateur quantique ?

C’est une machine complexe dans laquelle plusieurs éléments individuels quantiques sont en interaction pendant une assez longue durée. Il y a donc plusieurs défis à relever. En premier lieu, il faut être capable de mettre en place ces différents éléments quantiques côte à côte. Ensuite, il faut les faire interagir de façon paramétrable pour étudier les différents types de problèmes, et enfin faire en sorte qu’ils vivent assez longtemps. Ce sont les trois défis de la simulation quantique. Il y a plusieurs pistes technologiques pour y arriver : avec des ions piégés, avec des sortes de mini-transistors quantiques ou encore avec des atomes neutres. C’est ce que nous faisons ici.
Tout se passe dans une chambre sous vide, dans laquelle nous envoyons un peu de gaz de rubidium. On vient ensuite piéger un certain nombre de ces atomes sur un réseau de faisceaux lumineux. Ce sont comme des pièges de lumière qui permettent de les placer où nous le souhaitons. Chaque atome constitue un élément quantique que nous allons faire interagir avec les autres pour étudier un problème.

Le simulateur peut-il révolutionner les théories de la physique quantique ?

Le simulateur ne risque pas de chambouler complètement la physique moderne ; toutes les lois élémentaires de la physique quantique sont bien connues depuis plusieurs décennies.
Le Pr Haroche a décrit lui aussi de façon expérimentale ces fondements de la physique quantique qui étaient balisés depuis les années 1930, en étudiant en laboratoire des systèmes quantiques extrêmement élémentaires. Il a par exemple réussi à étudier la vie et la mort d’un photon, un grain de lumière unique, et l’interaction de ce photon avec un atome. Ces expériences ont confirmé notre compréhension très précise de la physique quantique. Même si nous prenons la suite de cette longue histoire, je ne pense pas que ce que nous faisons actuellement donnera lieu à des découvertes fondamentales. C’est plutôt un outil qui va explorer des régions de la physique quantique que nous ne connaissons pas encore très bien ou expliquer certains phénomènes.
Cela s’inscrit dans l’engouement actuel pour la physique quantique. On entend énormément d’annonces autour des ordinateurs quantiques ou de la cryptographie quantique. Pour ces réalisations, on parle de deuxième révolution quantique, parce qu’elle est postérieure aux premières applications technologiques des années 1960. Aujourd’hui, le but de l’ordinateur quantique est de tirer parti de toutes ces propriétés de la physique quantique pour faire des calculs qui sont inaccessibles aux ordinateurs classiques, mais cela reste incertain.

Votre intérêt pour la physique quantique est-il ancien ?

C’est plutôt un hasard et de la curiosité. Après mon baccalauréat en 2012, je suis allé en classe préparatoire en école d’ingénieur puis à Polytechnique. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré la physique quantique, pendant les cours de Philippe Grangier et d’Alain Aspect de l’Institut d’optique. Ils sont de la même génération que le Pr Serge Haroche – de ces physiciens français qui ont travaillé sur de belles expériences de physique quantique. C’était vraiment passionnant. Ils étaient très enthousiastes sur toutes ces questions d’applications de cette deuxième révolution quantique. Ils ont été très inspirants pour beaucoup d’entre nous dans ma promotion.

Qu’est-ce qu’une journée typique pour vous ?

Quand j’arrive le matin, j’allume tous les appareils et je vérifie que tout est réglé comme il faut. C’est-à-dire que les lasers sont à la bonne puissance et qu’ils agissent correctement sur les atomes dans la chambre à vide. Le reste de ma journée se passe derrière les ordinateurs de surveillance, en salle d’expérience, pour conduire toutes les mesures.
Pour manipuler les atomes, il faut construire les séquences expérimentales informatiques qui contrôlent ces éléments. Par exemple, quand envoie-t-on les lasers ? Lesquels ? Dans quel ordre ? Ce sont plein de réglages que nous modifions tous les jours. Parfois, nous procédons à de grosses modifications techniques qui nécessitent de tout arrêter, comme le changement d’un laser. Cela peut prendre entre une semaine et un an, suivant l’importance de la modification.

Alors que vous travaillez sur des problèmes inconnus, comment vérifiez-vous que tout fonctionne ?

Pour mettre au point le simulateur quantique, nous travaillons dans des régimes connus dont nous maîtrisons ce que nous pouvons obtenir à chaque étape. On sait dans quel état précis on emmène nos atomes et comment le faire. En suivant une marge de résultats, il nous est donc possible de vérifier expérimentalement que cela fonctionne.

Le simulateur quantique doit être très souple pour pouvoir s’adapter à des problèmes très différents. Cela ne constitue-t-il pas un défi technologique ?

La question de la souplesse du système est capitale. En pratique, nous travaillons avec des états atomiques bien précis que l’on nomme états de Rydberg circulaires. Concrètement, pour un atome dans un état de Rydberg circulaire, l’électron est très loin du noyau et nous l’amenons sur une orbite vraiment circulaire autour de celui-ci. L’électron tourne autour de son noyau comme une planète autour du Soleil. Dans cet état, les atomes ont des propriétés très particulières. Ils interagissent beaucoup entre eux, ils sont très sensibles aux champs électriques et magnétiques, et sont très stables. Ils vivent très longtemps. C’est grâce à ces différentes propriétés que nous devrions obtenir un système très malléable et souple, mais aussi très stable et précis. Par exemple, en mettant des atomes de Rydberg circulaires côte à côte et en changeant, un tout petit peu, le champ électrique, nous devrions pouvoir changer le régime d’interaction entre ces atomes.

Êtes-vous toujours aussi fasciné par la physique quantique ?

Je n’ai peut-être plus cet émerveillement que je pouvais ressentir en cours, à Polytechnique, au moment où je découvrais cette science. C’est certain que la pratiquer au quotidien désacralise le côté magique. Cependant, cela m’a fait découvrir le monde de la recherche qui restait quelque chose de très abstrait jusqu’à ma thèse.
Il y a tout de même une fierté à travailler ici, autour d’une belle expérience comme celle-ci. Ce sont des appareils très poussés. C’est comme si nous construisions une super voiture de Formule 1. Pour construire quelque chose comme ça, il y a de beaux défis techniques à relever. Par exemple, récemment nous avons réussi à piéger les atomes côte à côte et à les arranger sur une géométrie arbitraire que l’on souhaitait. Ce sont de beaux succès. Le domaine de la simulation quantique est un domaine auquel je crois. Je pense qu’il y aura de nombreuses réussites et l’idée d’y participer me rend très fier.

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Paul Méhaignerie travaille au sein de l’équipe Électrodynamique quantique en cavité du Laboratoire Kastler-Brossel, sous la responsabilité du Dr Michel Brune. Il est aussi doctorant à Sorbonne Université sous la direction du Dr Jean-Michel Raimond. Sa thèse s’intitule « Simulation quantique avec atomes de Rydberg circulaires ».

Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par Aurèle Méthivier