Actualité

La formation planétaire

Éclairages

Toutes les deux semaines, un sujet d'actualité scientifique éclairé par une chercheuse ou un chercheur du Collège de France.

Sarah Joiret - ©Patrick Imbert.

Comment la Terre s’est-elle formée ? Quels processus ont façonné les autres planètes ? L’exploration de la dynamique du Système solaire tente de répondre à ces questions. À travers une approche qui associe modélisation numérique et analyse géochimique, il est possible de reconstituer l’histoire du Système solaire.
Rencontre avec Sarah Joiret*, astrophysicienne au Collège de France.

Avant de devenir des géantes gazeuses ou des planètes rocheuses, les planètes sont d’abord de minuscules grains de poussière. Ces grains se forment dans le disque de gaz et de poussière entourant les jeunes étoiles, appelé disque protoplanétaire. « Ce sont des environnements dynamiques, où se déroulent des processus physiques et chimiques qui ne peuvent pas être reproduits en laboratoire », explique l’astrophysicienne Sarah Joiret. La scientifique cherche aujourd’hui à comprendre pourquoi l’atmosphère martienne semble porter la trace d’un gaz d’origine solaire, tandis que son manteau solide montre une signature plutôt astéroïdale. De plus, il n’y a pas de trace d’apport cométaire provoqué par le choc avec de nombreuses comètes, ce qui est très surprenant. Un mystère qui pourrait en partie s’expliquer par une formation précoce de Mars, avant la dissipation du disque gazeux protoplanétaire, et que les modèles de dynamique planétaire pourraient aider à démêler.

Les analyses géochimiques sont au cœur de cette recherche. À l’aide de spectromètres de masse, la chercheuse étudie des météorites retrouvées sur Terre, notamment dans les déserts du Maroc ou de l’Antarctique. Ces fragments de corps célestes, souvent issus d’astéroïdes, livrent des informations précieuses sur les premiers matériaux du Système solaire. « En déterminant la signature isotopique des éléments qu’ils contiennent, notamment des gaz rares, nous pouvons remonter à leur origine », précise Sarah Joiret. Mesurer les quantités et les proportions d’isotopes dans la matière, c’est-à-dire mesurer des atomes d’un même élément dont le nombre différent de neutrons leur donne des masses différentes, permet de retracer leur origine, leur parcours et leurs sources. Les gaz rares, justement, constituent des traceurs privilégiés. Parce qu’ils ne réagissent pas chimiquement avec les autres éléments, ils conservent une mémoire des conditions initiales. Sur Mars, leur répartition permet d’observer une dichotomie surprenante : un manteau enrichi en gaz rares d’origine astéroïdale, et une atmosphère marquée par des gaz rares solaires. Pour recueillir ces données, les météorites sont fondues dans des conditions précises, afin d’en extraire les gaz en quantité suffisante pour l’analyse. Un processus long et minutieux qui ne représente pas le seul outil à la disposition des chercheurs.

Simuler le chaos cosmique

En parallèle de la géochimie, Sarah Joiret s’appuie sur des modèles numériques pour reconstituer l’évolution dynamique du Système solaire. Ces simulations reposent sur les équations d’Hamilton, qui décrivent le mouvement des corps sous l’action de forces, et permettent de faire évoluer un système planétaire fictif à partir de conditions initiales. « On place les objets où l'on pense qu’ils étaient, on les fait évoluer, et l'on regarde si l'on retrouve l’état actuel observé », explique la chercheuse.

Parmi les modèles les plus influents, le « modèle de Nice » propose qu’une instabilité majeure entre les planètes géantes, pendant les premiers millions d’années du Système solaire, aurait perturbé les orbites des comètes et provoqué un bombardement massif sur les planètes internes. Une hypothèse qui pourrait expliquer la présence de certains éléments chimiques sur Terre ou sur Mars. Les simulations permettent ainsi de tester la cohérence de ce scénario avec les données géochimiques. Cependant, ces modèles étant chaotiques, il faut en réaliser des centaines pour obtenir des tendances statistiques fiables.

L’interdisciplinarité au centre des découvertes de demain

Le croisement entre modélisation et analyse isotopique ne va pas de soi. « Ce sont deux outils très différents », reconnaît Sarah Joiret. « Chacun raconte une histoire. Et notre travail, c’est de voir si ces deux récits sont compatibles. » Cette double compétence, entre physique et chimie, est le fruit d’une volonté de dialogue entre disciplines. L’astrophysicienne raconte avoir dû apprendre un nouveau langage en travaillant avec des géologues et des chimistes. Un défi permanent, mais aussi une richesse épistémologique.

La recherche dans ce domaine avance grâce à une dynamique collective, nourrie par les échanges, les colloques et les collaborations. L’arrivée de nouvelles données issues de missions spatiales, de l’observation des exoplanètes et des échantillons ramenés d’autres corps célestes viendra affiner les modèles existants. De quoi apporter une meilleure compréhension non seulement de notre propre histoire, mais aussi de celle d’autres systèmes planétaires.

*Sarah Joiret est astrophysicienne sur la chaire Formation planétaire : de la Terre aux exoplanètes du Pr Alessandro Morbidelli.