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Zhang Rui, postdoctorante en littérature et société chinoises anciennes

Chemins de chercheurs

Un fonds rare d’estampes chinoises conservé à la Bibliothèque nationale de France (BnF) ! Tel est l’objet de recherche de Zhang Rui, postdoctorante BnF et Collège de France.

Zhang Rui

Quelles sont vos recherches ?

Mes recherches se concentrent principalement sur la littérature et la société chinoises médiévales. En septembre dernier, j’ai soutenu ma thèse de doctorat portant sur l’évolution d’une poésie chantée de la Chine du haut Moyen Âge (IIIe-VIe siècle) dans le contexte de l’histoire culturelle et sociale de cette époque.
D’une manière générale, mes intérêts de recherche comprennent la transversalité des arts chinois ainsi que la transmission des savoirs et des connaissances dans la Chine ancienne. Mon projet postdoctoral actuel, mené au sein du Collège de France et de la Bibliothèque nationale de France, me permet d’explorer la culture visuelle chinoise de la période impériale tardive, élargissant ainsi mes champs d’investigation.

Pourquoi avez-vous choisi ces sujets d’étude ?

Je suis passionnée par la poésie classique et la culture ancienne depuis mon enfance. Pour moi, la poésie n’est pas simplement une forme littéraire, mais plutôt un moyen d’appréhender le monde. Comme le disait Confucius : « Jeunes gens, rien ne vaut l’étude de la Poésie ! » Dans la culture chinoise, la poésie jouait un rôle important dans la société, la politique et la transmission des savoirs.
En raison de sa forte transversalité, j’ai pris l’habitude de réfléchir à la croisée de différentes disciplines. Ce projet postdoctoral, commencé en octobre dernier, prolonge mes recherches précédentes tout en ouvrant de nouvelles perspectives. Je poursuis mon exploration des intersections entre différentes disciplines, en portant une attention particulière à la transmission culturelle à travers les textes et surtout les images.

Pourquoi travailler sur la littérature chinoise en France plutôt qu’en Chine ?

Je m’attendais à cette question… Je pense que cela est dû en partie à un besoin de me retrouver, bien que cela puisse sembler paradoxal. Parfois, il faut partir pour se retrouver.
Mon parcours universitaire a commencé avec une licence en langue et littérature françaises, car j’avais soif de découvrir les « ailleurs », de connaître d’autres langues et d’autres cultures. En 2012, en tant que lauréate d’un concours de poésie en expression française et invitée par la Maison des Cultures du Monde, je suis venue en France pour la première fois. Mon séjour a duré dix jours et au moment de retourner en Chine, j’avais le sentiment que je reviendrai.
Je suis effectivement revenue en 2013 pour effectuer une année d’échange en lettres modernes à l’université de Reims. J’ai ensuite enchaîné avec deux masters 2, l’un à la Sorbonne en langue française appliquée, l’autre à la Sorbonne Nouvelle en littérature générale et comparée, avant de m’inscrire en thèse à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales).

Je ne suis pas certaine que j’aurais choisi de faire une thèse en littérature chinoise classique si j’étais restée en Chine… Ce qui me passionne et me réjouit, c’est aussi la capacité de naviguer entre différentes langues et cultures. Mon amour pour la traduction littéraire a également joué un rôle crucial dans mes recherches. Le français m’a ouvert de nouveaux horizons dans l’appréhension de la poésie chinoise classique, et la pratique de la traduction a nourri de nombreuses réflexions qui ont façonné mes travaux. Le fait de jouer le rôle de passerelle entre différentes cultures est à la fois stimulant et enrichissant, comme si l’on avait besoin d’un miroir pour avoir accès à son propre visage.

Une fois en France, comment avez-vous trouvé votre sujet de thèse ?

Comme vous pouvez le constater dans mon parcours universitaire, il y a eu une sorte de « retour » vers les études chinoises. Mon intérêt pour la sinologie a été éveillé, ou réveillé, lors de mon mémoire de master 2 en littérature générale et comparée, où j’ai proposé une étude sur la réception en France d’un poète ermite de l’époque des Tang (VIIe-Xe siècle). Ce poète en particulier m’a ramenée vers le monde de la sinologie.
Mon intérêt pour l’intersection des arts dans la Chine ancienne m’a conduite à choisir comme sujet de thèse une poésie chantée, dont l’évolution est marquée par la rencontre entre la tradition folklorique et les savoirs lettrés.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Actuellement, au Collège de France et à la BnF, je travaille sur un fonds d’estampes chinoises remarquable, mais peu connu, composé de deux collections : la collection Lieure et la collection Curtis, qui sont entrées à la BnF par don et acquisition dans les années 1940.
Ce fonds est d’une grande richesse, avec environ deux mille pièces couvrant une longue période allant du XIIIe au XXe siècle, permettant ainsi d’étudier toute l’histoire de la gravure chinoise. Les estampes sont d’une grande variété, avec des sutras (des classiques), des apocryphes bouddhiques (textes dont l’authenticité n’est pas établie), des livres religieux, des estampages, etc. C’est un patrimoine textuel et visuel d’une grande valeur historique et scientifique qui souffre malheureusement d’un manque de reconnaissance.

Exemples d'estampes chinoises

Quel est l’objectif de vos recherches sur ce fonds ?

L’objectif principal de mes recherches sur ce fonds est de le rendre accessible aux chercheurs intéressés, en identifiant, cataloguant et étudiant les pièces. Nous avons pour but de numériser les estampes afin de les rendre disponibles sur la plateforme Gallica de la BnF.
Cependant, mes recherches visent également à promouvoir un projet collectif et interdisciplinaire, en encourageant le dialogue entre différentes disciplines, arts et aires culturelles. Pour ce faire, j’organise des rencontres avec des spécialistes de divers horizons tels que Michela Bussotti de l’École française d’Extrême-Orient, Vincent Durand-Dastès de l’Inalco… et j’envisage également d’organiser une journée d’étude pour rassembler les spécialistes intéressés autour de ce fonds.

Comment vous êtes-vous retrouvée dans cette convention entre la BnF et le Collège de France ?

Pendant mes années doctorales, j’ai assisté assidûment à des séminaires très riches et variés portant sur des sujets allant des pensées philosophiques du temps de Confucius jusqu’aux identités et savoirs lettrés de l’époque des Song (920-1279). Grâce à ces séminaires qui m’ont formée méthodologiquement, j’ai eu la chance d’être remarquée par plusieurs professeurs.
Lorsque le Collège de France et la BnF ont lancé l’appel à candidatures pour un projet postdoctoral portant sur l’un des cinq fonds spéciaux de la BnF, Frédéric Wang et Valérie Lavoix, mes directeurs de thèse à l’Inalco, ainsi que Stéphane Feuillas, professeur de l’université Paris-Cité, ont recommandé mon nom à la Pr Anne Cheng – que j’avais déjà rencontrée lors des séminaires qu’elle animait au Collège de France en 2017.
J’ai présenté un projet de recherche détaillé visant à valoriser le fonds chinois en question, et je suis ravie et honorée que ce soit mon projet qui ait été retenu parmi les cinq sélectionnés.

Comment travaille-t-on sur de tels documents ?

La première étape consistait à identifier les pièces, dispersées çà et là, que possédait ce fonds, à créer un inventaire fiable à partir des bases de données élémentaires que nous possédions afin de mieux les localiser. Cette étape préparatoire était essentielle, même si elle n’était pas la plus passionnante.
Est ensuite venu le moment de sortir les pièces de leur boîte, et là, c’était la joie pure de découvrir des merveilles. Cependant, il est crucial de manipuler les pièces avec précaution pour éviter tout risque de dégradation, et de veiller à leur conservation. Une expertise pluridisciplinaire est requise pour comprendre les techniques de gravure et les matériaux utilisés dans la création de ces estampes au fil du temps.
La recherche sur ce fonds nécessite également la consultation de nombreuses sources documentaires afin de mieux comprendre le contexte historique et culturel dans lequel elles ont été créées, mais également les différents enjeux liés à la collection et la circulation des objets d’art en Asie et en Europe.
Pour valoriser ce fonds, je vise également à mener des activités de communication et de diffusion de connaissances, telles que la rédaction de billets de blog, pour partager mes découvertes avec un public plus large. Cela permet de sensibiliser le public à l’importance de la préservation et de la valorisation du patrimoine culturel, tout en faisant découvrir des œuvres d’art exceptionnelles.

Pensez-vous continuer à travailler sur ce fonds par la suite ?

Il est clair que je compte continuer à travailler sur ce fonds à l’avenir. Sa grande richesse promet d’en faire l’objet d’un projet de recherche de longue durée. De plus, j’aspire à ce qu’il devienne un projet collectif, voire international, en collaboration avec des musées et bibliothèques de Londres, Pékin ou Taipei.
En ce qui me concerne, bien que mon contrat soit limité à un ou deux ans, je suis déterminée à m’engager dans ce projet à long terme. J’espère notamment avoir un jour le temps et l’occasion de traduire les beaux textes inscrits sur les estampes et les rouleaux. Ce fonds constitue à la fois une porte d’ouverture vers les autres (autres chercheurs, autres domaines, autres périodes) et un chemin du retour vers soi (avec un regard continuellement renouvelé).

La Dr Zhang Rui bénéficie d’un contrat postdoctoral dans le cadre d’une convention de partenariat entre le Collège de France et la Bibliothèque nationale de France. Elle travaille sous la direction de la Pr Anne Cheng du Collège de France et de Mme Corinne Le Bitouzé, adjointe au directeur du département des Estampes et de la photographie, BnF.

Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par Aurèle Méthivier