Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
En libre accès, dans la limite des places disponibles
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La « fable de Tahiti » a nourri les imaginaires européens à la fin du XVIIIe siècle, suscitant non seulement des rêveries sur l’état de nature, mais aussi des débats sur les périls de la civilisation et sur les rapports entre les Européens et les autres parties du monde. Après avoir évoqué quelques exemples de cette présence diffuse de Tahiti dans la littérature de la période, le cours s’arrête plus longuement sur trois exemples : une utopique politique, l’an 2440 de Louis-Sebastien Mercier (1771), un roman sentimental, les Lettres tahitiennes de Joséphine de Montbart (1784) et une pantomime londonienne, Omai (1785).

L’an 2440 fut un des grands succès de librairie des années 1770. Dans un chapitre du livre, l'auteur imagine l’histoire de Tahiti après le passage de Bougainville et déploie un discours anticolonialiste qui n’est pas sans ambiguïté, parce qu’il oppose aux ambitions impériales européennes un idéal qui est celui d’une Europe devenue pacifique, diffusant le progrès et les Lumières, guidant les autres peuples vers un avenir commun dont elle-même dessine les contours.

Les Lettres tahitiennes proposent aussi un récit hostile à l’impérialisme européen, mais en apportant une double inflexion. Le paradis insulaire est désormais perdu, il a été détruit par la violence, il ne faut pas chercher à y revenir, mais rapatrier en Europe, dans la vie simple des campagnes, l’utopie de communautés harmonieuses, loin de la corruption des grandes villes. Surtout, Joséphine de Montbart met l’accent sur la violence sexuelle exercée à l’encontre des femmes tahitiennes, par les hommes européens avec la complicité des hommes tahitiens. Elle offre ainsi un contrepoint salutaire aux regards essentiellement masculins (de Bougainville à Diderot et Voltaire) qui idéalisent le mythe de la liberté sexuelle tahitienne. Les Lettres tahitiennes attestent que le roman sentimental, à la fin du XVIIIe siècle, possède une grande force politique.

Enfin la pantomime Omai, jouéE à Covent Garden pour Noël 1785, véritable comédie musicale à succès, mélange hardiment des éléments fantaisistes issus de la Comedia dell’Arte, des personnages et des épisodes des voyages de Cook, et un éloge de l’Empire britannique, garant de l’union heureuse de tous les peuples du Pacifique. Le mélange de pur divertissement et de souci de réalisme ethnographique a souvent surpris. Il faut y voir la puissance naissante de la société du spectacle, capable d’associer la curiosité savante et le plaisir du jeu, en offrant au public londonien, pour une somme raisonnable, un voyage exotique et sans danger.