Actualité

Les sédiments de la mer Noire

Il y a environ 21 000 ans, la géographie de l’Europe était bien différente de celle d’aujourd’hui. Une véritable montagne de glace, la calotte fennoscandienne, recouvrait toute l’Europe du Nord depuis les îles britanniques jusqu’à la Sibérie.

Calotte glaciaire fennoscandienne

Le niveau des océans était alors plus bas de 120 mètres. Un fleuve géant, le fleuve Manche, coulait sur une plaine entre la France et l’Angleterre. En Europe centrale, la mer Noire n’était pas connectée à la mer Méditerranée et formait un grand lac dont le niveau était environ 100 mètres en dessous du niveau actuel, exondant 100 000 km2 de terre. Les fleuves Danube et Dniepr avaient alors une embouchure commune en mer Noire. Tandis que le Danube drainait les eaux de fonte et les sédiments relâchés par les glaciers alpins, le Dniepr, lui, collectait ceux de la calotte fennoscandienne.

Cette situation particulière a fait des sédiments déposés au fond de la mer Noire une archive de choix pour reconstituer et comprendre les profondes réorganisations environnementales qui ont accompagné la fin de la dernière époque glaciaire en Europe centrale. Quelques mètres sous le fond de la mer Noire se trouve une série de quatre couches de sédiments rouges contrastant fortement avec le gris bleuté caractérisant communément la colonne sédimentaire. Depuis une dizaine d’années, ces couches rouges étaient soupçonnées représenter l’empreinte sédimentaire, en mer Noire, de la fonte des glaces d’Europe. Encore fallait-il le prouver, déterminer la calotte à l’origine de leur dépôt et comprendre la dynamique de leur genèse.

Différents indicateurs géochimiques mesurés dans les sédiments d’une carotte, collectée dans le cadre du projet Assemblage par le navire français de recherche océanographique de l’IPEV Marion Dufresne en 2004, ont permis de reconstituer l’activité des fleuves alimentant la mer Noire et de révéler la provenance des sédiments qu’ils charriaient au cours des derniers 25 000 ans.

Deux indicateurs géochimiques organiques sensibles à l’érosion des sols par les rivières ont ainsi montré que chacune des couches rouges fut déposée en réponse à une augmentation forte et brutale de l’activité fluviale. La comparaison de la signature isotopique du néodyme des sédiments formant les couches rouges à celle de nombreux terrains actuels d’Europe centrale a montré que seuls correspondaient les sols actuellement présents aux sources du fleuve Dniepr (actuelle Biélorussie). L’ensemble de ces résultats prouve que la formation des couches rouges en mer Noire, entre 17 000 et 15 500 ans, est due à des apports majeurs d’eau de fonte issue de la désintégration de la calotte fennoscandienne.

[...]

---

Article paru dans La Lettre du Collège de France n° 37, décembre 2013