La maladie d’Alzheimer touche aujourd’hui près de 55 millions de personnes dans le monde, sans espoir de guérison, faute de traitement. Les recherches en cours autour du mécanisme de drainage des substances toxiques à l’origine de cette maladie soulèvent l’espoir d’une amélioration de la prise en charge des malades.
Rencontre avec Marie Karam*, biologiste au Collège de France.
Vers un traitement préventif contre Alzheimer ?
Toutes les deux semaines, un sujet d'actualité scientifique éclairé par une chercheuse ou un chercheur du Collège de France.
La maladie d’Alzheimer est neurodégénérative. Elle entraîne une détérioration progressive et irréversible des neurones. Cette dégradation provoque des difficultés à mémoriser, à parler, à se mouvoir, qui aboutissent à une perte d’autonomie et au décès. Les causes de cette dégradation sont mal connues. La biologiste Marie Karam nous explique que « de nouvelles pistes suggèrent que le dérèglement du drainage des substances toxiques du cerveau pourrait être une cause de la maladie, ou à minima un facteur aggravant. »
Dans cette maladie, des protéines toxiques sont à l’origine de la dégénérescence des neurones, dont principalement les protéines amyloïdes. L’amyloïde bêta, naturellement présente dans le cerveau, s’accumule parfois anormalement et forme alors des plaques toxiques, dites plaques amyloïdes. L’origine de cette accumulation proviendrait d’une mutation génétique. « Nous savons que les plaques amyloïdes possèdent un rôle crucial dans la dégradation neuronale, poursuit Marie Karam. Leur présence engendre un dépôt de produits toxiques dans le cerveau. Il est possible que, dans une sorte de cercle vicieux, ces produits dérèglent le mécanisme de drainage cérébral et contribuent à l’augmentation de la formation des plaques amyloïdes. »
Le nettoyage du cerveau
Le drainage cérébral repose sur le liquide cérébrospinal dans lequel baigne le cerveau. Ce fluide transporte les déchets et les agents pathogènes vers l’extérieur pour les éliminer. Les plaques amyloïdes perturbent le fonctionnement de petites cellules immunitaires, appelées macrophages, présentes entre le tissu cérébral et les vaisseaux sanguins. Ces cellules sont responsables du nettoyage des déchets cérébraux emmenés par le liquide cérébrospinal. Marie Karam précise : « Il apparaît que la défaillance des macrophages accélère l’accumulation de la protéine à l’origine des plaques : le cycle s’autoentretient. Comme ces plaques créent également des réactions inflammatoires, elles exacerbent les symptômes de la maladie d’Alzheimer. »
L’étude du drainage cérébral constitue une piste nouvelle pour comprendre la maladie d’Alzheimer. Les chercheurs n’ont commencé à s’intéresser à ce phénomène qu’en 2012. « Depuis, beaucoup d’équipes, dont la nôtre, explorent cette piste. J’ai d’abord constaté l’absence de vaisseaux lymphatiques dans le cerveau. Si ce système habituel de nettoyage des organes n’était pas présent dans le cerveau, comment celui-ci pouvait-il se réguler ? Il a fallu découvrir puis décrire le fonctionnement de ce mécanisme. Pour ma part, mon travail vise maintenant à comprendre l’activité des macrophages. »
Des approches préventives
Les applications concrètes de cette recherche sont prometteuses. Le développement de traitements pour stimuler l’activité des macrophages et améliorer le transport du liquide cérébrospinal pourrait faciliter l’élimination des plaques amyloïdes, ralentissant ainsi la progression de la maladie d’Alzheimer. « Nous pouvons imaginer des traitements qui agiraient avant que les dégâts ne commencent à apparaître sur les neurones. » Ces approches préventives pourraient se concentrer sur les protéines amyloïdes, les empêchant de s’agglutiner et de former des plaques. « Améliorer l’efficacité du drainage cérébral permettra au cerveau de se débarrasser des protéines avant l’apparition de plaques. Nous pourrions casser le cercle vicieux de l’accumulation avant qu’il ne se déclenche. Nous n’agirions que sur une cause de la maladie parmi d’autres, mais nous pensons que cela diminuerait considérablement son évolution. »
Face à l’absence de traitements curatifs, les recherches sur le drainage cérébral et les macrophages pourraient modifier profondément notre approche de la maladie d’Alzheimer, offrant un espoir inédit à ceux qui en souffrent et à leurs familles.
*Marie Karam est chercheuse au sein de l’équipe Contrôle moléculaire du développement neuro-vasculaire du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie du Collège de France, sous la responsabilité du Dr Isabelle Brunet.