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Depuis la fin des années 1980, l’historiographie des Lumières a trouvé dans les notions d’opinion publique et d’espace public des outils efficaces pour penser les transformations culturelles et politiques du XVIIIe siècle. Cependant, marquées par la généalogie de la modernité politique libérale ou par la recherche des origines de la Révolution française, ces notions semblent avoir épuisé une grande part de leur efficacité heuristique. Parallèlement, les travaux sur la presse périodique ont connu d’importants développements, en s’intéressant aux formes et manières de publier les nouvelles, aux métiers de l’information, mais aussi à la production et diffusion de rumeurs et fausses informations, au point de constituer un domaine spécifique, interdisciplinaire, mais peu relié aux travaux plus généraux d’histoire culturelle et intellectuelle des Lumières.

Ce colloque vise à proposer de nouvelles interprétations en mettant l’accent sur les spécificités de la communication médiatique. Adoptant les outils de l’histoire du livre et les suggestions théoriques des études des médias, il propose de réunir et de faire dialoguer toute une série de travaux récents sur les Lumières sous un paradigme interprétatif commun : les Lumières médiatiques. L’hypothèse de travail est que les Lumières sont indissociables d’une véritable « révolution médiatique », une transformation rapide et importante des formes de la communication qui a eu des conséquences systémiques, aussi bien sur la circulation de l’information que sur les pratiques culturelles et politiques, les formes d’écriture et la fabrique des identités individuelles et collectives.

Un premier ensemble d’interrogations portera sur l'émergence d’une nouvelle culture médiatique qui, sans innovation technologique majeure, se détache progressivement des usages précédents de l’imprimé et surtout de la culture de l’oralité qui dominait jusque-là les relations interpersonnelles. L’objectif est de mieux comprendre comment, au XVIIIe siècle, les nouvelles pratiques de lecture, l’essor des journaux et les mutations de la culture visuelle conduisent à autonomiser la communication médiatique, pourvue d’une logique propre, de dispositifs de captation de l’attention et d’une dynamique souvent transnationale. L’imprimé, en lien avec une nouvelle culture de la consommation, s’impose au quotidien à des couches de plus en plus larges de la population, des deux côtés de l’Atlantique. Des « communautés médiatiques » adoptent des comportements intellectuels et affectifs distincts et commencent à se penser comme des « publics ». Il en résulte une transformation inédite des sociétés, notamment dans les grandes villes, et l’émergence de phénomènes aussi divers que la célébrité, la mode, la spéculation boursière, les scandales, et l’actualité politique. Dès lors, comment les élites culturelles, financières mais aussi politiques (ministres, diplomates, activistes) s’adaptent-elles aux nouvelles dynamiques de circulation de l’information, qui impliquent des formes inédites de contrôle mais aussi de nouvelles possibilités d’action ?

Le colloque vise aussi à préciser le lien entre cette culture médiatique et le mouvement intellectuel et social des Lumières. Comment les hommes et femmes des Lumières utilisent-ils les nouvelles ressources médiatiques pour toucher de nouveaux publics ? Comment, en sens inverse, une nouvelle culture médiatique, liée à des logiques économiques et publicitaires spécifiques, façonne-t-elle ce que nous appelons « les Lumières » — ou comment les rend-elles possibles, si on considère que la diffusion du savoir et de la pensée critique est au cœur de leur projet intellectuel ? Comment les philosophes, les écrivains et les autres acteurs culturels réagissent-ils à cette transformation des conditions d’exercice de la pensée et de circulation des connaissances, qui leur apparaît à la fois comme une ressource et une menace ? Pourquoi la figure du journaliste est-elle autant critiquée ? On s’interrogera ainsi sur la constitution d’un « imaginaire médiatique », nourri par les réflexions pragmatiques, utopistes ou critiques que la culture médiatique du XVIIIe siècle suscite parmi les hommes et femmes des Lumières.

Comité d’organisation : Laurent Cuvelier, Gabriela Goldin Marcovich, Antoine Lilti, Julia Marchevsky, Matthew McDonald, Maximilien Novak, Roberto Paiva, Suzanne Rochefort, Christoph Streb.