Amphithéâtre Marguerite de Navarre, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Cette séance explore la question de l'universalité de la science. Celle-ci n’est-elle pas, davantage encore que le droit naturel ou le langage de la civilisation, au cœur des conceptions de l’universel développées au XVIIIe siècle ? Pour en comprendre les enjeux, il faut distinguer trois dimensions. Premièrement, l’idée de lois immuables de la nature, valables partout et toujours, s’impose depuis la fin du XVIIe siècle : la loi newtonienne de la gravitation universelle en est l’archétype, mais elle coexiste, dans la pensée des Lumières, avec des conceptions plus descriptives ou taxonomiques de la science. Deuxièmement, l'ambition d'une science internationale, fondée sur la coopération des savants, entre en conflit avec les logiques nationales et impériales de la science, de plus en plus nettement affirmées. Troisièmement, l’universalité du savoir implique qu’il soit accessible à tous, qu’il devienne un bien commun et public, comme Voltaire le défend dans ses Éléments de la philosophie de Newton.

Ces trois dimensions (des lois immuables, une science internationale et un savoir public) ont fini par faire système dans la conception idéale de la science moderne occidentale qui s’est imposée au cours du XIXe siècle puis au XXe siècle. Le sociologue américain Robert K. Merton lui a donnée une portée très importante en développant sa théorie de la « structure normative de la science ». L’universalisme était, à ses yeux, un critère essentiel aussi bien de l’ethos scientifique que de la culture démocratique. On peut confronter à cette vision normative de la science celle d’un autre sociologue, Pierre Bourdieu, qui n’a cessé de s’interroger sur les conditions de possibilité d’un savoir universaliste, menant à la fois une critique sociologique du « monopole de l’universel » et la défense d’une science autonome et réflexive, capable d’accéder à des vérités transhistoriques. C’est dans cette perspective qu’il a développé, dans les années 1980, la notion d’« intérêt au désintéressement ».

Enfin, la séance revient au XVIIIe siècle en abordant la question de l'exclusion des femmes du monde scientifique. Émilie du Châtelet a utilisé le langage des « droits de l’esprit » pour revendiquer l'accès des femmes à l'éducation. Face à un universalisme savant conçu comme un monopole masculin, elle dénonce un abus, une injustice historique fait à « la moitié du genre humain » et propose une expérience, à la fois scientifique et politique, d’égalité radicale dans l’accès aux carrières scientifiques.

Références des œuvres citées dans le cours

  • Samantha Besson, « Le Droit international de la science », Cours au Collège de France, 2023-2024.
  • Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d’agir, 2001.
  • Id., L’intérêt au désintéressement. Cours au Collège de France, 1987-1989, Paris, Raisons d’agir/Seuil, 2022.
  • Id., Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997.
  • Patrice Bret, « Alzate y Ramírez et l’Académie royale des sciences de Paris : la réception des travaux d’un savant du Nouveau Monde », dans Patricia Aceves Pastrana (éd.), Periodismo científico en el siglo XVIII: José Antonio de Alzate y Ramírez, Mexico, UNAM, 2001, p. 123-205.
  • Lorraine Daston, Contre-Nature, Genève, Markus Haller, 2024 [2019].
  • Gabriela Goldin Marcovich, « Voix créoles : les savants de la Nouvelle-Espagne entre Mexico et l’exil italien (1767-1814) », Thèse d’histoire, École des hautes études en sciences sociales, 2020.
  • David Hollinger, « The Defense of Democracy and Robert K. Merton’s Formulation of the Scientific Ethos », dans Id., Science, Jews, and Secular Culture: Studies in Mid-twentieth Century American Intellectual History, Princeton, Princeton University Press, 1988.
  • Michèle Le Dœuff, Le Sexe du savoir, Paris, Aubier, 1998 [réed. Lyon, ENS éditions, 2023].
  • Robert K. Merton, « The Normative structure of Science » (1942), dans Id., The Sociology of Science: Theoretical and Empirical Investigations, Chicago, The University of Chicago Press, 1973, p. 267-278.
  • Arnaud Orain, Les Savoirs perdus de l’économie. Contribution à l’équilibre du vivant, Paris, Gallimard, 2023.
  • James Poskett, Une nouvelle histoire mondiale des sciences, Paris, Points Seuil, 2023.
  • Neil Safier, Measuring the New World: Enlightenment Science and South America, Chicago, The University of Chicago Press, 2008.
  • Arnaud Saint-Martin, La Sociologie de Robert K. Merton, Paris, La Découverte, 2013.
  • Gisèle Sapiro (dir.), Dictionnaire international Pierre Bourdieu, Paris, CNRS Éditions, 2020.
  • Simon Schaffer, « Newton à la plage : l’ordre de l’information dans les Principia Mathematica », dans Id., La Fabrique des sciences modernes, Paris, Seuil, 2014 [2009], p. 15-61.
  • John Benett Shank, The Newton Wars and the Beginning of the French Enlightenment, Chicago, The University of Chicago Press, 2008.
  • David Turnbull, « Cook and Tupaïa, a tale of cartographic méconnaissance ? », dans Margaret Lincoln (éd.), Science and Exploration in the Pacific. European Voyages to the Soutern Oceans in the 18th Century, Woodbridge, Boydell & Brewer, 1998, p. 117-131.
  • Stéphane Van Damme, La Prose des savoirs. Pragmatique des mondes intellectuels, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2020.