Résumé
Cette séance explore la question de l'universalité de la science. Celle-ci n’est-elle pas, davantage encore que le droit naturel ou le langage de la civilisation, au cœur des conceptions de l’universel développées au XVIIIe siècle ? Pour en comprendre les enjeux, il faut distinguer trois dimensions. Premièrement, l’idée de lois immuables de la nature, valables partout et toujours, s’impose depuis la fin du XVIIe siècle : la loi newtonienne de la gravitation universelle en est l’archétype, mais elle coexiste, dans la pensée des Lumières, avec des conceptions plus descriptives ou taxonomiques de la science. Deuxièmement, l'ambition d'une science internationale, fondée sur la coopération des savants, entre en conflit avec les logiques nationales et impériales de la science, de plus en plus nettement affirmées. Troisièmement, l’universalité du savoir implique qu’il soit accessible à tous, qu’il devienne un bien commun et public, comme Voltaire le défend dans ses Éléments de la philosophie de Newton.
Ces trois dimensions (des lois immuables, une science internationale et un savoir public) ont fini par faire système dans la conception idéale de la science moderne occidentale qui s’est imposée au cours du XIXe siècle puis au XXe siècle. Le sociologue américain Robert K. Merton lui a donnée une portée très importante en développant sa théorie de la « structure normative de la science ». L’universalisme était, à ses yeux, un critère essentiel aussi bien de l’ethos scientifique que de la culture démocratique. On peut confronter à cette vision normative de la science celle d’un autre sociologue, Pierre Bourdieu, qui n’a cessé de s’interroger sur les conditions de possibilité d’un savoir universaliste, menant à la fois une critique sociologique du « monopole de l’universel » et la défense d’une science autonome et réflexive, capable d’accéder à des vérités transhistoriques. C’est dans cette perspective qu’il a développé, dans les années 1980, la notion d’« intérêt au désintéressement ».
Enfin, la séance revient au XVIIIe siècle en abordant la question de l'exclusion des femmes du monde scientifique. Émilie du Châtelet a utilisé le langage des « droits de l’esprit » pour revendiquer l'accès des femmes à l'éducation. Face à un universalisme savant conçu comme un monopole masculin, elle dénonce un abus, une injustice historique fait à « la moitié du genre humain » et propose une expérience, à la fois scientifique et politique, d’égalité radicale dans l’accès aux carrières scientifiques.