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Juliette Durand, doctorante en neurosciences

Chemins de chercheurs

Lutter contre les effets secondaires des traitements chimiothérapeutiques ! Tel est l’objet de recherche de Juliette Durand, doctorante au Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (CIRB) du Collège de France.

Sur quels effets secondaires des chimiothérapies travaillez-vous ?

Beaucoup de traitements de chimiothérapie engendrent des effets secondaires importants : les neuropathies périphériques chimiquement induites en font partie. Je travaille sur cette pathologie, car elle est très invalidante pour les patients qui ont des douleurs importantes pour lesquelles il n’existe aucun traitement spécifique. Les principaux symptômes sont des douleurs au niveau des mains et des pieds notamment, des fourmillements et des sensations de brûlure. Certains patients auront également des défauts de motricité fine et des difficultés à se déplacer. S’il existe autant de symptômes différents, certains légers, d’autres plus sévères, c’est parce que cette pathologie est évolutive : plus le patient cumulera les doses de chimiothérapie, plus les atteintes seront importantes et les symptômes susceptibles de s’aggraver. Dans le laboratoire où j’effectue mes recherches, nous étudions spécifiquement une chimiothérapie, l’oxaliplatine, majoritairement utilisée dans le traitement des cancers digestifs. Elle a la particularité de provoquer chez près de 80 % des patients une neuropathie périphérique dite aiguë, avec des symptômes pouvant apparaître seulement trente minutes après la première injection. Ces symptômes aigus peuvent disparaître si le traitement est arrêté. Par contre, si les patients continuent à recevoir plusieurs injections d’oxaliplatine, une neuropathie chronique pourra s’installer avec des douleurs pouvant persister durant des années, malgré la rémission de leur cancer.

Comment sont traités ces effets indésirables aujourd’hui ?

À ce jour, il n’y a pas de traitement pour les neuropathies périphériques chimiquement induites. Des traitements contre la douleur sont parfois prescrits, cependant ils ne sont pas propres à cette pathologie et sont donc inefficaces chez la plupart des patients. La seule solution à l’heure actuelle est une réduction ou un arrêt de la chimiothérapie. Ces neuropathies périphériques chimiquement induites sont par conséquent un problème de santé publique majeur, car elles diminuent les chances de guérison des cancers.

Pourquoi parle-t-on de « neuropathie périphérique » ?

On appelle cette pathologie une neuropathie périphérique parce qu’elle atteint les nerfs. C’est une maladie du système nerveux périphérique. Le corps est composé du système nerveux central – comprenant le cerveau et la moelle épinière –, et du système nerveux périphérique, composé de nerfs périphériques. Ces derniers innervent nos organes et nos membres. Ils permettent de transporter les informations entre le cerveau et la périphérie : leur bon fonctionnement est donc crucial. Cette neuropathie est dite périphérique, car il semblerait qu’elle touche uniquement les nerfs et donc le système nerveux périphérique. Le cerveau lui ne semble pas atteint.

Vous vous concentrez sur les vaisseaux sanguins présents dans le nerf qui forment, selon vous, une « barrière » entre le sang et le nerf. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Je travaille dans l’équipe d’Isabelle Brunet qui étudie les interactions entre le système vasculaire et le système nerveux. Ces interactions sont moléculaires, cellulaires et fonctionnelles. Par exemple, le système nerveux peut impacter le cœur, les vaisseaux sanguins et donc la distribution du sang dans tous les organes, mais les vaisseaux sanguins peuvent aussi impacter le système nerveux. Un nerf périphérique contient des prolongements de neurones appelés axones, qui font le lien entre le cerveau et les organes périphériques pour y transmettre les informations venant du cerveau. Il est également composé de vaisseaux sanguins, qui apportent les nutriments et l’oxygène nécessaires au bon fonctionnement du nerf. Toutefois, le rôle de ces vaisseaux ne s’arrête pas là ; ils forment une barrière très sélective entre le sang et le reste du nerf. Ils permettent le passage des molécules nutritives essentielles, tout en retenant les molécules potentiellement nocives pour le nerf comme des pathogènes ou des médicaments. Ces vaisseaux sanguins intra-nerveux permettent le maintien d’un équilibre, que l’on appelle homéostasie. Le maintien de cette homéostasie est essentiel pour le bon fonctionnement des nerfs. La moindre modification peut avoir des conséquences importantes sur la santé.

On pourrait imaginer que l’oxaliplatine traverse cette barrière et atteigne le nerf…

Nous travaillons sur plusieurs hypothèses. Puisqu’il est administré directement dans le sang, le traitement de chimiothérapie pourrait passer du sang vers le nerf grâce à des transporteurs et y causer des problèmes. Il pourrait aussi abîmer ces vaisseaux sanguins et laisser passer des molécules indésirables. Cependant, en observant le modèle sur lequel nous travaillons, nous remarquons que les vaisseaux sanguins ne sont visiblement pas impactés, la vascularisation dans le nerf semble bonne et la barrière est globalement intacte. C’est pour ces raisons que nous privilégions l’hypothèse d’un problème de débit sanguin. Les vaisseaux sont dotés d’une activité contractile, soit ils se contractent, soit ils se dilatent, et le sang circule plus ou moins vite. Ceci influence directement le niveau d’oxygénation du nerf. Nous pensons que l’oxaliplatine pourrait avoir un effet sur cette activité et donc sur le niveau d’oxygène dans le nerf. Pour le moment, notre objectif est de déterminer si l’oxaliplatine engendre une vasoconstriction qui limiterait les échanges comme nos résultats le suggèrent. Le nerf, recevant moins d’oxygène et de nutriments, ne fonctionnerait plus normalement, ce qui pourrait provoquer ces effets indésirables.

Quelles sont les pistes pour résoudre ces problèmes ?

La résolution du problème passe dans un premier temps par une bonne compréhension de la maladie. Il est très important de comprendre les mécanismes qui conduisent au développement des symptômes chez les patients pour envisager de prévenir ou de diminuer l’apparition de ces symptômes. Si nous suivons notre hypothèse selon laquelle l’oxaliplatine engendrerait une vasoconstriction pouvant participer au développement des symptômes, l’utilisation de vasodilatateurs, substances pouvant dilater les vaisseaux sanguins, pourrait être une solution. Mais ces questions sont très délicates, car il ne faut pas que ces traitements affectent l’efficacité de la chimiothérapie. Il faudrait trouver une solution thérapeutique qui permette à la fois de traiter les symptômes neuropathiques tout en conservant l’activité anti-cancéreuse de l’oxaliplatine. Actuellement, aucune option thérapeutique n’est disponible, principalement par manque de connaissance de la maladie et de ses causes.

Comment êtes-vous arrivée à ce sujet de recherche ?

J’ai toujours été intéressée par les secteurs de la santé et de la biologie. Je me suis alors tournée vers une licence de biologie et un master en génétique. C’est à cette occasion que j’ai fait un stage chez le Dr Isabelle Brunet, et que j’ai souhaité poursuivre en thèse dans son équipe. Les projets développés dans son équipe m’ont tout de suite plu. Ils sont originaux, avec des techniques particulières comme la microscopie à feuilles de lumière. Cette technique permet de rendre transparent un organe entier, comme le nerf par exemple, et de visualiser en 3D le réseau de vaisseaux sanguins à l’intérieur. J’aime également travailler sur un projet pouvant mêler à la fois la recherche fondamentale et la recherche clinique. Nous sommes notamment en collaboration avec des médecins qui étudient les aspects cliniques de nos différentes hypothèses.

Souhaitez-vous continuer la recherche à la suite de votre doctorat ?

À la suite de ma thèse, je pense continuer dans le secteur de la recherche avec un postdoctorat, en France ou à l’étranger. Dans l’idéal, j’aimerais obtenir plus tard un poste de chercheuse en France, dans le secteur public ou privé, et toujours avec cette idée de mêler la recherche à la santé.

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Juliette Durand travaille au sein de l’équipe Contrôle moléculaire du développement neuro-vasculaire du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie du Collège de France, sous la responsabilité du Dr Isabelle Brunet. Sa thèse s’intitule « Rôle de la barrière sang nerf dans le développement des neuropathies périphériques chimiquement induites : vers de nouvelles pistes thérapeutiques ».

Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par Aurèle Méthivier