Résumé
Selon l’interprétation que donne Hintikka du cogito, le « je pense » n’est pas une prémisse factuelle dont on infère « j’existe » grâce à la prémisse tacite « pour penser il faut être ». Le « je pense » représente non un premier contenu de pensée dont on infère un second (« je suis »), mais l’acte de penser le contenu de pensée « je suis » : ce contenu de pensée est nécessairement vrai à partir du moment où est accompli l’acte de le penser. C’est l’acte de le penser (cogito) qui implique la vérité du contenu de pensée (sum). Dans ce cadre théorique, le moi qui est donné de façon indubitable dans l’expérience du cogito est, et n’est que, le sujet de l’acte mental, inhérent à l’acte en question. La notion de « penseur » ou de « sujet » correspond ainsi à un rôle défini par rapport à une occurrence mentale, tout comme la notion de « locuteur » correspond à un rôle défini par rapport à une occurrence verbale.
En ce point il nous faut considérer une objection bien connue au cogito cartésien : celle de Lichtenberg. Est-il légitime d’aller au-delà de la pensée elle-même, et d’hypostasier son sujet comme le fait Descartes ? Qu’une occurrence de pensée se produise, soit, mais qu’est-ce qui garantit que cette occurrence est attribuable à un sujet, fût-il moi-même ? Lichtenberg soutient que le passage au « je pense » est illégitime et qu’il faut s’en tenir à un simple cogitatur : « ça pense ».
On répond à Lichtenberg que, chez Descartes, les pensées sont définies par la conscience. Les pensées nous sont données immédiatement et font l’objet de l’acte mental d’aperception non pas de façon contingente, comme un coucher de soleil qui peut ou non être observé, mais de façon nécessaire : une pensée ne serait pas une pensée si elle n’était pas présente à la conscience du sujet qui pense. Les pensées sont donc inséparables du sujet de conscience : le sujet de conscience, c’est le sujet à la conscience de qui les pensées sont présentes, et en l’absence duquel il n’y aurait pas de conscience et donc pas de pensée. Les pensées et leur sujet (au sens minimal) sont donnés ensemble dans le phénomène de la conscience et ne peuvent être dissociés. Comme l’écrit Hamelin commentant Descartes, « le fait d’être pour soi n’est pas un acte spécial qui se surajoute à la pensée ». Il y a de ce point de vue une différence importante, soulignée avec force par les cartésiens, entre être conscient d’une pensée, et penser à cette pensée. Lorsqu’on pense à une pensée on forme une deuxième pensée, distincte de celle à quoi l’on pense et séparable d’elle. Mais, comme le soulignera plus tard Brentano, la conscience qu’on a d’une pensée n’est pas une deuxième pensée mais cette pensée elle-même en tant que consciente.