Résumé
Lorsque le format ou le mode d’acquisition d’une information est tel que cette information ne peut concerner que le sujet lui-même, il n’est pas nécessaire d’identifier la personne que l’information concerne comme étant nous-même. L’identification en question est pré-déterminée par le format ou le mode d’acquisition de l’information. Étant donné ce format ou mode d’acquisition, l’information en question va automatiquement dans le dossier Ego. Il n’est donc pas vrai que le dossier mental Ego ne peut pas fonctionner si le sujet ne dispose pas déjà d’un concept de soi. Le dossier mental Ego accueille automatiquement les informations acquises sur le mode égocentrique. Ces informations concernent nécessairement le sujet lui-même, et pour les intégrer au dossier le sujet n’a pas besoin d’identifier la personne que ces informations concernent comme étant lui-même.
Les informations acquises sur le mode égocentrique forment le noyau du dossier Ego et suffisent à le constituer. Outre ce noyau, le dossier comporte aussi une périphérie, à savoir toutes les informations qui sont acquises en troisième personne mais dont le sujet pense qu’elles le concernent lui-même. Ces informations-là ne peuvent être intégrées au dossier en l’absence d’une représentation de soi permettant au sujet de s’identifier comme la personne que ces informations concernent ; mais précisément une représentation de soi est déjà disponible, correspondant au noyau du dossier mental Ego.
Les informations acquises sur le mode égocentrique possèdent une propriété distinctive, repérée par Wittgenstein et dénommée « immunité aux erreurs d’identification » par le philosophe américain Sidney Shoemaker. Cette propriété découle de la façon dont le sujet est donné à lui-même comme sujet de l’expérience consciente, sans être nécessairement représenté dans le contenu de cette expérience. Cette « conscience de soi préréflexive », ainsi nommée par les phénoménologues, a deux aspects qu’il convient de distinguer. Il y a d’un côté la conscience qu’a le sujet d’être dans un certain état mental (perceptif, mnésique ou autre). De l’autre, il y a la conscience corrélative qu’il a de la relation qu’il entretient avec la scène représentée, celle qui est le contenu de l’état. Sous ces deux aspects, la conscience de soi préréflexive est immunisée aux erreurs d’identification.