Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
En libre accès, dans la limite des places disponibles
-

Résumé

Si on adopte, à propos de « je », la perspective « logocentrique » qui s’est imposée suite aux travaux d’auteurs comme Reichenbach ou Benveniste, un problème évident se pose. Que devient le moi dans cette théorie ? Le moi, c’est le sujet conscient qui a accès de l’intérieur à ses propres états mentaux, c’est l’Ego cartésien. Comment combler le fossé qui semble exister entre le phénomène étroitement linguistique de la token-réflexivité et le phénomène psychologique de la conscience et de la subjectivité ? 

Je vois trois options au moins pour tenter de résoudre le problème et jeter un pont entre le « je » et le moi. La première option consiste à partir de la perspective logocentrique et à dériver le moi du « je », en quelque sorte. Selon ce point de vue, défendu par Benveniste, ce qui est premier c’est le discours, la communication, la pratique interlocutive au sein de laquelle le « je » est défini par la procédure token-réflexive. Le moi, le sujet de conscience, se constitue lui-même à travers l’échange dialogique : la subjectivité est rendue possible par l’inter-subjectivité dont le discours, avec son alternance du « je » et du « tu », fournit le paradigme. 

La seconde option, plus traditionnelle, est tout à l’opposé. Elle consiste à partir du moi, réalité psychologique, et à ne faire intervenir le « je » qu’en second lieu. C’est le concept moi-même qui est premier, dans cette perspective ; le mot « je » (et la première personne de façon plus générale) est la façon dont on l’exprime linguistiquement. Il est vrai, comme le souligne Benveniste, que le mot « je » n’encode aucun concept : la signification de « je » est une règle d’emploi. Mais chaque occurrence de « je » sert à exprimer une pensée en première personne, c’est-à-dire une pensée où intervient le concept de soi.

La troisième option consiste à souligner la structure abstraite qui est commune au moi et au « je ». Comme on l’a vu, la référence d’un indexical comme « je » ou « ici » est l’entité qui se trouve dans une certaine relation contextuelle avec l’occurrence du mot : une occurrence de « je » désigne la personne qui prononce ou qui produit cette occurrence, et une occurrence de « ici » désigne le lieu où est produite cette occurrence. Mais il y a des concepts – les concepts égocentriques  qui exploitent aussi des relations au référent, et le concept de soi appartient à cette famille. Ce sont ces concepts que les indexicaux du langage expriment (sans les encoder).

Un concept égocentrique se rapporte à l’entité avec laquelle le penseur qui déploie le concept se trouve dans une certaine relation. On ne peut se représenter une entité sous un concept égocentrique donné que si l’on se trouve avec l’entité en question dans la relation contextuelle particulière qui gouverne ce concept. Dans le cas du concept ICI, la référence est un lieu et la relation contextuelle est l’occupation du lieu en question. Dans le cas du concept de soi (Ego), la référence est une personne et la relation à la personne en question est tout bonnement l’identité : le penseur doit être identique à l’individu qu’il se représente pour pouvoir se représenter cet individu sous le concept Ego. Ces relations entre le penseur et le référent se réduisent elles-mêmes à des relations token-réflexives entre les entités auquelles le concept se rapporte et l’occurrence de la pensée où est déployée le concept.