Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Les états de conscience ne deviennent des objets de pensée que quand nous portons notre attention sur eux dans la réflexion. Lorsque ce n’est pas le cas, la pensée est bien présente à elle-même, elle est consciente, mais elle n’est pas elle-même un objet de pensée à proprement parler, et ne fait assurément pas l’objet d’une pensée distincte.

Nous avons là une distinction entre deux formes de réflexivité, l’une qui caractérise la conscience, propriété générale de nos pensées, et l’autre qui caractérise une classe particulière de pensées, à savoir les pensées d’ordre supérieur impliquées dans la réflexion. Cette distinction est articulée par plusieurs disciples de Descartes, dont Antoine Arnauld qui distingue la « réflexion virtuelle » (conscience) de la « réflexion expresse » (réflexion proprement dite). Dans la conscience, la pensée est présente à elle-même mais n’est pas pour autant transformée en objet de pensée. Elle n’est pas objectivée, comme elle l’est dans la réflexion expresse. Celle-ci se caractérise par le fait qu’elle implique deux pensées distinctes : la pensée réfléchissante et la pensée réfléchie qui est son objet.

Lorsque Kant parle du « je pense » qui accompagne toutes nos représentations, il parle de la pensée présente à elle-même, et non de la pensée objectivée et représentée dans le contenu d’une pensée d’ordre supérieur. Mais qu’en est-il du Cogito cartésien ? On montre que, dans le Cogito, il y a deux « je pense » simultanément. Il y a le contenu de pensée « je pense », celui qui est nécessairement vrai « chaque fois que je l’énonce ou que je le conçois », et dont le sujet ne parvient pas à douter. Et il y a l’acte de penser et la conscience de cet acte, le « je pense » implicite de la réflexion virtuelle. C’est ce « je pense » là qui entre en conflit avec le contenu de pensée potentiel « je ne pense pas » (ou « je n’existe pas ») et rend ce contenu de pensée impensable sans contradiction pragmatique. La conscience qu’a Descartes de penser quand il essaie (sans succès) de douter de cet état de choses est ce qui rend le contenu de pensée « je pense » indubitable ; mais si cette conscience relève de la réflexion virtuelle, le contenu de pensée « je pense » qu’elle rend indubitable relève, lui, de la réflexion expresse. 

Le cogito consiste à réfléchir l’acte de penser dans le contenu de la pensée elle-même : la pensée alors s’auto-représente. Cela n’est possible que si la réflexivité qui caractérise la conscience (où c’est la pensée elle-même qui « avertit l’âme de sa présence ») est préservée lors de son explicitation dans la réflexion expresse opérée par le cogito. Il faut donc maintenir l’identité de la pensée réfléchissante et de la pensée réfléchie dans le cogito. La dualité pensée réfléchissante/pensée réfléchie doit être comprise comme une dualité de rôles qui va de pair avec la relation de représentation, plutôt que comme une nécessaire dualité au niveau des occupants des rôles, dualité qui empêcherait la même pensée de jouer les deux rôles simultanément.