Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
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Nous avons dédié une partie du cours à la comparaison et à la mythologie, à laquelle nous avons consacré en 2014 avec J. Svenbro un livre (La tortue et la lyre [1]). Un premier thème que nous avons examiné concernait l’exploitation du « mythe » du terme Capitolium, qui illustrait la flexibilité et l’inventivité de l’art mythologique romain. Dans un second temps, nous avons comparé deux rites liés à une peste ou une épidémie, le rite romain du clou régulièrement planté dans la paroi du temple capitolin et la célèbre nouvelle L’araignée noire de Jeremias Gotthelf, dans laquelle un rite du même type est rapporté. L’exercice a mis en évidence les différences nombreuses qui opposent les deux récits qui, à première vue, paraissent proches.

Nous avons ensuite effectué la comparaison entre les suovétauriles romains et le « grand sacrifice » (tailao) attesté en Chine depuis les Han. Georges Dumézil et Émile Benveniste considéraient que les suovétauriles, trittyes et sautrâmanî faisaient de ce sacrifice un des traits du ritualisme indo-européen. Dumézil considérait même que les Grecs « avaient oublié » cette tradition, puisqu’il remarque un certain flottement dans le choix des trois victimes par rapport à la grammaire rituelle indo-européenne. Il interprétait aussi le lustrum ou la lustratio qui servait de cadre aux suovétauriles comme une cérémonie purificatoire. Or cette interprétation, comme nous l’avons démontré il y a deux ans, était forcée. Il s’agissait en fait d’un rite de fondation et de protection. En Chine où le tailao est attesté du XIe s. au IIIe s. av. J.-C., avant de faire partie des pratiques impériales depuis les Han, le rite porte sur tous les animaux d’élevage, le chien compris, et n’est nullement un rite purificatoire, mais un rite complexe qui a fini par représenter l’offrande la plus appropriée pour rendre hommage, pour remercier et prier les ancêtres et les dieux. En tout cas, le témoignage chinois met en cause l’étroitesse du cadre d’analyse indo-européen et invite à approcher différemment les témoignages des pays grecs et de l’Inde védique.
En Chine, le sacrifice s’adresse aux ancêtres dynastiques, aux dieux du sol et de l’agriculture ainsi qu’à la divinité nuptiale, et enfin, plus généralement, à tous les ancêtres culturels et historiques. À Rome, au contraire, le sacrifice des trois victimes suovétauriles ne concernait qu’un dieu, Mars. En pays grec en revanche, il concerne diverses divinités, dont des héros. En Inde, ce sont plusieurs divinités associées à Indra qui sont en cause. En Chine, le banquet consécutif est important, alors que dans le monde occidental nous n’entendons jamais parler d’un banquet de chairs issues d’un suovétaurile. Enfin, l’objectif des sacrifices n’est à première vue pas le même d’un bout à l’autre du continent.

Références

[1] John Scheid et Jesper Svenbro, La tortue et la lyre. Dans l’atelier du mythe antique, Paris, CNRS Éditions, 2014.