Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
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Parmi les signes qui annonçaient la mort prochaine de l’empereur Othon en 69, il y eut ce sacrifice à Dis Pater, au cours duquel les signes que présentait la victime s’avérèrent favorables. Or, souligne Suétone (Othon, 8, 6), « dans un tel sacrifice une fressure contraire a une valeur supérieure ». Une remarque particulièrement intéressante. Il y a bien longtemps, en 1978 – l’article ne fut publié qu’en 1984 –, j’ai mis en évidence une pratique centrale des rites funéraires qui consiste à inverser ou à déplacer des gestes ou des situations. Un des exemples les mieux connus réside dans le fait que les armes, lors des funérailles, sont portées à l’envers, ou dans le changement de tenue des sénateurs ou des magistrats, qui prennent l’apparence de chevaliers ou d’autres magistrats. Il s’agit d’un rite qui met d’un côté en évidence l’altérité de ceux qui sont en deuil, qui sont en quelque sorte méconnaissables, de l’autre l’altérité des défunts et de l’espace de la mort. Je n’avais pas vu, à l’époque, le passage de Suétone qui vient confirmer mon observation. Les exta, la fressure, c’est-à-dire les cinq organes sanglants qui sont observés au moment de l’abattage de la victime, indiquaient dans un sacrifice-offrande si oui ou non la divinité acceptait le sacrifice ; dans des sacrifices divinatoires, les exta en bon état signalaient l’acquiescement divin ou un avenir favorable, les exta présentant des signes irréguliers ou des malformations disaient le contraire. Mais, d’après Suétone, ceci vaut pour les dieux d’en haut, pas pour Dis pater, le dieu du monde d’en bas. Dans ce contexte, celui de la mort, qui est à l’opposé de ce monde-ci, c’est le contraire de la normalité qui est favorable. Othon aurait donc dû recevoir une fressure présentant des indices inquiétants, et non une fressure normale. L’histoire a prouvé que le signe était bien défavorable : il se suicida peu après. On trouve la même inversion, ou du moins la même relation négative dans un mythe étiologique des Ludi Taurei, conservé par Festus et Paul Diacre (p. 278-279, éd. Lindsay). Suivant ce récit, la chair des taureaux sacrifiés à Dis Pater avait été vendue par erreur au peuple, en conséquence de quoi les femmes étaient devenues stériles. C’est pour réparer cette erreur qu’avaient été fondés les jeux appelés « jeux du taureau » en raison de cette méprise. Donc, alors que le repas partagé avec une divinité est un événement positif, qui apporte le bien-être et le succès, manger avec Dis Pater des parts de sa victime est un acte négatif, qui ne peut que nuire.