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Adel Al Jord, chercheur en biologie

Chemins de chercheurs

Le rôle du noyau dans le développement des cellules ! Tel est l’objet de la recherche d’Adel Al Jord, postdoctorant au Collège de France.

Adel Al Jord

Vous travaillez sur les questions de reproduction…

Mes recherches concernent les mécanismes biologiques qui se passent au sein des cellules spécialisées. J’étudie comment les cellules se métamorphosent pendant leur développement afin d’assurer le bon fonctionnement de l’organisme. Il dépend des organes vitaux, qui sont constitués de cellules spécialisées : les cellules de la peau, du cerveau, des os, etc. La question du développement de ces cellules constituait ma recherche d’une façon plus générale. C’est ce que je faisais avant et ce que je continue à faire dans des cellules différentes à chaque fois.

Actuellement, je travaille au Collège de France avec Marie-Hélène Verlhac et Marie-Émilie Terret sur les cellules germinales femelles, c’est-à-dire les ovocytes qui vont donner l’œuf et qui vont être fertilisés par la suite. Au niveau de la reproduction en général, j’essaie de comprendre comment ces cellules-là se développent et deviennent matures pour être fertilisées.

Qu’est-ce qu’un ovocyte ?

Un ovocyte est une seule cellule, sphérique, de taille très importante, autour de 0,1 mm, ce qui est énorme à l’échelle cellulaire. Comme d’autres cellules, l’ovocyte, la cellule sexuelle femelle, est composé de deux compartiments majeurs : le noyau, qui contient l’essentiel du matériel génétique (ADN), et le cytoplasme qui l’entoure. Ce dernier est organisé par le cytosquelette, qui est comme le squelette de la cellule. Ce que l’on savait à l’époque, c’est que le cytosquelette génère des forces mécaniques dans la cellule, notamment utiles dans la division cellulaire. Il faut se représenter quelque chose qui fait vibrer et qui agit physiquement sur la cellule. C’est quelque chose d’observable au microscope !
On supposait que cela puisse avoir une influence sur le positionnement du noyau au sein de la cellule. En revanche, ce que l’on ignorait, c’est l’effet de ces forces sur l’organisation nucléaire, et donc sur l’organisation du matériel génétique que contient le noyau. C’était la question de départ : comment les forces mécaniques agissent-elles sur l’intérieur du noyau de l’ovocyte ?

Avez-vous déjà des hypothèses concernant cette interrogation ?

J’ai trouvé un lien mécanistique, vraiment fonctionnel, entre ces forces-là et le message génétique qui va sortir du noyau, donc l’ADN. Nous avons mis en évidence que les ovocytes modulent et déploient ces forces dans le cytoplasme afin de réorganiser de manière fonctionnelle l’intérieur du noyau cellulaire, et ainsi promouvoir la division ovocytaire. C’est une étape déterminante de la maturation des ovocytes dans laquelle ils se divisent. Si l’on n’a plus ce dialogue physique entre ces deux compartiments cellulaires, les ovocytes vont mal se développer et ne seront donc pas fécondables. Cela touche les questions de fertilité.

Peut-on imaginer des applications concrètes ?

Les applications concrètes dépendent évidemment de tout un développement à partir de la recherche fondamentale. Elles pourraient toucher les questions de fertilité et des pathologies. Par exemple, ces recherches pourraient aider à identifier d’une façon visuelle les ovocytes les plus propices à une fécondation in vitro. Cela va guider les protocoles cliniques. Au-delà de la reproduction, ce projet permet de mieux appréhender les anomalies associées à des défauts de forces cytoplasmiques, telles que la tumorigenèse, qui désigne la formation des tumeurs, ou bien les maladies neurodégénératives, ainsi que certaines infections virales.

Comment s’organisent les journées d’un chercheur en biologie ?

Je ne parlerais pas de journées typiques, mais plutôt de phases. Au début d’un projet, on a une phase exploratoire dans laquelle il y a beaucoup de lectures. Il faut s’informer sur ce qui est déjà connu et trouver la bonne question pour construire un projet. C’est la première étape. On a déjà un début d’expérimentation pour tester des idées. Qu’est-ce que l’on voit ? Qu’est-ce qui est connu ? Qu’est-ce qui n’est pas connu ?

Ensuite, quand on pense avoir observé quelque chose d’intéressant, on entre dans une phase d’expérimentation intensive. Il faut répliquer les expériences pour avoir des résultats à étudier. Il est aussi nécessaire de discuter avec des experts dans d’autres domaines complémentaires, car on ne peut pas avoir tout lu ni être au courant de toutes les recherches. On fait avancer notre étude comme ça. La fin d’un projet, c’est quand on a vraiment une question précise et une réponse claire à cette question. À ce moment-là, on arrive à l’étape de la publication pour communiquer ce résultat à travers un article scientifique.

Avez-vous eu un intérêt précoce pour les sciences ?

Oui, j’étais très intéressé par cela quand j’étais petit, et mes parents l’ont remarqué assez tôt. Ils ont nourri ma curiosité scientifique, l’ont laissée grandir. Je leur en suis assez reconnaissant. Après mon lycée à Dubaï, j’ai déménagé en France en 2005. J’ai étudié le français, à côté d’ici, à la Sorbonne. J’ai ensuite fait une licence en sciences de la vie, qui comprenait tous les domaines de la biologie, avant de me spécialiser en génétique.

Jusqu’au master, je ne savais pas que je pouvais travailler dans la recherche. Je me souviens très bien de ce moment (j’étais à New York pour un long stage) où j’ai compris que j’aimais faire de la recherche. Je pense que le déclic est vraiment pratique, tant qu’on ne le fait pas, on ne sait pas trop ce que cela signifie. Apprendre le quotidien de la recherche dans ce stage m’a vraiment fait dire : « oui, je veux devenir un chercheur ».

Quelles sont les perspectives à la suite de votre projet postdoctoral ?

Par la suite, je devrais continuer ces recherches dans mon futur laboratoire au CRG (Centre for Genomic Regulation), à Barcelone. Cette activité mécanique à un impact potentiel sur d’autres types cellulaires. C’est encore hypothétique, mais je suspecte que c’est vraiment la même chose qui se passe dans certaines maladies. L’idée pour la suite c’est de le démontrer. Cela pourrait aider à mieux comprendre les pathologies dont je parlais. Dans ce domaine, il reste tout un continent à explorer.

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Adel Al Jord est biologiste soutenu par la Fondation du Collège de France, chercheur postdoctorant dans l’équipe Mécanique et morphogenèse de l’ovocyte au Centre interdisciplinaire de recherche en biologie. Il a obtenu en 2023 le prix Fondation des Treilles.

Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par Aurèle Méthivier