Présidence : Patrick Boucheron
Résumé
Cet article retrace une histoire artificielle de l'intelligence naturelle, affirmant que, depuis l'émergence de la pensée moderne lors de la révolution scientifique en Europe, l'esprit et ses capacités ont été appréhendés comme intriqués dans les corps, les machines et les technologies prothétiques de la pensée, comme l'écriture. L'intelligence humaine a donc été appréhendée en termes d'automatisme. Compte tenu de l'hypertechnologisation contemporaine de la vie humaine, marquée par une automatisation croissante grâce aux infrastructures numériques, l'automatisation constitue une menace pour l'indépendance humaine tout en exigeant des décisions politiques et sociales d'une importance cruciale. Cette histoire artificielle tente de renouer avec une tradition de pensée de l'intelligence comme résistance à l'automatisme. Autrement dit, malgré la relation intime, voire constitutive, de l'esprit avec la technologie, celui-ci peut néanmoins abriter les moyens de ce que Bernard Stiegler appelle la désautomatisation, et ainsi réhabiliter la capacité humaine de décision. Partant de Descartes et du concept d'automate à l'époque moderne, cet article s'inscrit dans une réflexion qui intègre les conceptions de l'esprit, du cerveau et des machines aux XIXe et XXe siècles, les premiers dispositifs informatiques, la cybernétique et les théories d'après-guerre de l'interaction homme-machine, afin de suivre une certaine interaction entre l'esprit humain et l'ouverture au sein des formes techniques et machiniques de détermination. Nous conclurons par une critique de l'intelligence artificielle, affirmant que l'intelligence naît de la confrontation de l'esprit à l'automatisme, et non des processus automatiques en soi.