Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

La fiction nous parle de choses (ou de personnes) qui n’existent pas. Comment cela est-il possible ? Le fait d’en parler ou d’y penser ne confère-t-il pas à ces choses ou à ces personnes une existence minimale ? C’est le problème de la référence aux inexistants. Un second problème est celui de la généralisation existentielle. Puisque Superman est, comme chacun sait, doté de super-pouvoirs et qu’il peut voler dans les airs, ne s’ensuit-il pas qu’il y a un individu qui peut voler dans les airs ? Mais que signifie ce « il y a », étant donné que Superman n’existe pas ? 

Face au problème de la généralisation existentielle, les logiciens ont développé plusieurs stratégies. L’une d’entre elles consiste à nier que « il y a » implique l’existence, et donc à réinterpréter la quantification existentielle de façon à la rendre indépendante de tout engagement ontologique. Une autre option consiste à restreindre le principe de généralisation existentielle : pour valider l’inférence de la prémisse « a est F » à la conclusion « il y a un x qui est F » (interprétée de façon traditionnelle), on a désormais besoin d’une seconde prémisse établissant l’existence de l’individu a dont on dit qu’il est F.

Il y a d’autres façons de résoudre le problème de la généralisation existentielle, sans toucher à la logique. En philosophie du langage, on distingue la forme grammaticale d’un énoncé et sa forme logique (sa structure véritable, correspondant à l’information qu’il véhicule). Ce que dit véritablement un énoncé comme « Sherlock Holmes est un détective privé travaillant occasionnellement pour Scotland Yard », c’est que dans les fictions de Conan Doyle Sherlock Holmes est un détective privé travaillant occasionnellement pour Scotland Yard. Le préfixe « dans les fictions de Conan Doyle » est laissé implicite, mais il joue un rôle essentiel. Du fait de sa présence, tout ce qu’on peut conclure par généralisation existentielle, c’est que que dans les fictions de Conan Doyle il y a un individu qui est un détective privé et travaille occasionnellement pour Scotland Yard.  

La distinction entre forme grammaticale superficielle et forme logique peut également être invoquée pour résoudre le problème de la référence aux inexistants : ainsi Russell analyse-t-il « Sherlock Holmes » comme une description définie déguisée et non comme un véritable nom propre. Cela permet de nier que, lorsqu’on emploie un nom fictionnel comme « Sherlock Holmes », on fasse véritablement référence à un individu particulier, et ainsi de sauver la thèse selon laquelle on ne peut faire référence qu’à ce qui existe. Une autre façon de sauver cette thèse consiste à soutenir que, lorsqu’on parle de Sherlock Holmes ou de quelque chose que l’on sait ne pas exister, on ne fait pas référence à un individu particulier mais on fait semblant – on fait comme s’il y avait un tel individu et qu’on y faisait référence. 

Un troisième type de solution au problème de la référence aux inexistants relève de la métaphysique. Contrairement aux deux premières solutions, elle permet de maintenir que, lorsqu’on parle de Sherlock Holmes, on fait bien référence à quelque chose. Qu’il faille faire une place à une certaine variété ontologique, c’est ce que montre l’exemple des nombres et des objets abstraits. Pareillement, les personnages de fiction n’existent pas en tant qu’individus concrets dans la réalité, mais ils ont cependant un mode d’existence, distinct du mode d’existence qui caractérise les objets réels.