Amphithéâtre Maurice Halbwachs, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Comme les énoncés parafictionnels, les énoncés métafictionnels aussi servent à parler de la fiction, et adoptent par conséquent une perspective externe. Eux aussi, corrélativement, sont jugés vrais ou faux, et non « ni vrais ni faux » comme les énoncés fictionnels qui reposent sur la simulation et ne portent pas sur la réalité. Contrairement aux énoncés parafictionnels, cependant, les énoncés métafictionnels visent non pas à restituer le contenu de la fiction (afin, par exemple, de renseigner quelqu’un qui n’a pas lu le roman mais souhaite savoir « de quoi ça parle »), mais à situer celle-ci dans le monde réel.

Un énoncé métafictionnel comme « Sherlock Holmes est un personnage de fiction inventé par Conan Doyle en 1887 » est intuitivement vrai, mais on ne le comprend pas comme véhiculant un préfixe implicite. On ne peut pas dire : « Dans les fictions de Conan Doyle Sherlock Holmes est un personnage de fiction créé en 1887 ». Pour ce type d’énoncé, la théorie qui semble la plus naturelle est celle que j’ai attribuée dans le premier cours à certains métaphysiciens. Selon cette théorie, le nom « Sherlock Holmes » dans ce type d’énoncé fait référence non à un individu de chair et d’os né d’un père et d’une mère, mais à une entité d’une autre nature : un personnage de fiction.

Un personnage de fiction est ce qu’on appelle une entité dépendante, dont l’existence implique nécessairement l’existence de l’entité dont elle dépend. En l’occurrence, un personnage de fiction n’existe en tant que tel que parce qu’il est un des protagonistes de l’histoire que raconte une œuvre de fiction – il dépend donc existentiellement de cette dernière. Cette propriété distingue les personnages de fiction des personnes réelles, qui peuvent également être représentées mais dont l’existence ne dépend pas de celle de la représentation. Le personnage de fiction, ainsi entendu, est une création culturelle, de même nature qu’une mélodie, que la chanson La Marseillaise, et non une personne de chair et d’os. 

Il s’ensuit que le nom « Sherlock Holmes » ne renvoie pas au même type d’entité dans un énoncé fictionnel et dans un énoncé métafictionnel. « Sherlock Holmes » désigne, dans la fiction, un individu de chair et d’os dont on fait comme s’il existait, mais il désigne aussi, dans le discours sur la fiction, le personnage qu’a créé Conan Doyle lorsqu’il a représenté fictivement l’individu de chair et d’os. Contrairement à l’individu de chair et d’os, qui est purement imaginaire et auquel on ne peut faire référence que de façon simulative, le personnage créé par Conan Doyle existe bel et bien et les critiques littéraires peuvent y faire référence de façon tout à fait sérieuse. Ces deux entités, l’individu de chair et d’os dont parle la fiction (comme s’il existait) et le personnage de fiction qu’elle crée effectivement en parlant de l’individu de chair et d’os sur le mode fictif, sont étroitement liées l’une à l’autre. L’emploi du même nom pour les deux choses n’a donc rien de surprenant et évoque d’autres cas bien connus de « polysémie ».