Amphithéâtre Guillaume Budé, Site Marcelin Berthelot
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Résumé

Selon un courant de pensée associé à des auteurs comme Kendall Walton ou Gregory Currie, le type d’état mental que vise à produire un texte de fiction est la simulation de l’attitude doxastique (croyance ou jugement) que vise à produire un texte de non-fiction. Le destinataire d’un texte fictionnel n’est pas censé accepter (véritablement) ce qu’on lui dit – le tenir pour vrai  mais faire comme si : il fait comme si un interlocuteur digne de foi lui communiquait des informations, et il enregistre celles-ci dans un compartiment mental séparé où il bâtit une représentation complexe de l’univers fictionnel qu’on lui dépeint. Alors que la représentation du monde perpétuellement mise à jour guide le comportement du sujet, la représentation de l’univers fictionnel n’a pas d’impact sur le comportement : elle est déconnectée, séparée de la représentation du monde que le sujet utilise comme base de données pour agir. 

Dans Fiction and Narrative (2014), Derek Matravers objecte au simulationnisme que la déconnection censée couper les liens de l’état mental avec la perception et le comportement ne caractérise pas spécifiquement la fiction. Souvent ce qui nous est donné n’est pas directement une situation à laquelle nous sommes confrontés mais la représentation d’une situation. Pour comprendre une représentation nous devons bâtir un modèle mental de la situation représentée, et nous faisons cela que la représentation soit fictionnelle ou non. Si cette construction d’un modèle mental est ce qu’on appelle l’imagination, alors l’imagination est impliquée dans la compréhension d’un texte journalistique tout autant que dans la compréhension d’un texte de fiction. Selon Matravers, toute représentation fait l’objet d’un traitement en deux étapes. À la première étape (commune) le destinataire imagine les situations dont on lui parle. À la deuxième étape, l’imagination se transforme en croyance (ou non croyance, si le destinataire est sceptique) dans le cas de la non-fiction, mais reste de l’imagination dans le cas de la fiction.

Selon les simulationnistes, c’est la croyance qui est la notion première sur le plan conceptuel : l’imagination résulte d’une opération sur la croyance, à savoir la simulation, dont Currie dit qu’elle déconnecte l’état mental en coupant ses liens avec la perception et l’action. Selon Matravers, l’imagination fictionnelle ne résulte pas d’une opération transformant un état de croyance en autre chose. L’imagination fictionnelle n’est rien d’autre que l’absence de l’opération qui, dans le cas d’un texte de non-fiction, transforme l’imagination en croyance. C’est la croyance qui, dans le cas de la non-fiction, résulte d’une opération spéciale : l’acceptation comme réelle de la situation décrite et l’intégration des informations fournies par le texte à la représentation globale du monde. 

Mais une position de compromis est possible, plus ou moins en germe chez Matravers lorsqu’il dit que ce qui est donné dans la confrontation est imaginé ou simulé dans la représentation. Selon cette position de compromis, l’imagination impliquée dans la compréhension d’une représentation simule la croyance et (dans le cas de la non fiction) débouche sur la croyance effective moyennant l’acceptation du contenu appréhendé à la première étape via la simulation imaginative.