Trouble dans la charité

Résumé

Dans l’Andalousie du XI^esiècle, et face à l’effondrement de l’empire, Ibn Hazm pense en même temps la division politique et la dissension amoureuse. Car l’amour est une fitna, et un « secret replié » réside dans les mots qui le disent, ou qui échouent à le dire. On discute la puissance et les limites d’une historiographie de la domination ecclésiale qui fait de l’opposition entre caro et spiritus la matrice analogique de la société chrétienne. Car l’ambivalence niche toujours au cœur du lexique de l’amour en empêchant de séparer la part érotique de l’amour charitable, sinon par un effort moral qui intéresse assurément l’Église, mais sans doute moins l’histoire.

Sommaire

« La dissimulation du langage est un des traits de l’amour » (Ibn Hazm, De l’amour et des amants, trad. Gabriel Martinez-Gros, Paris, 1994)
Un « secret replié » au creux des mots de l’amour au XI^esiècle : poétiques et politiques du Collier de la colombe
Poésie arabe, platonisme et lyrique occitane (Rachel Arié, « Ibn Hazm et l’amour courtois », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 1985)
Lumières andalouses et ruines d’empire : l’amour comme une fitna
Ne pas chercher dans l’invention de l’amour le roman de fondation de l’Occident, mais ouvrir les chemins de la « mondialatinisation » (Jacques Derrida, Foi et savoir, Paris, 2000)
Amor, caritas et dilectio : mots nouveaux et faits de langue
L’énergie politique de l’équivocité
Après la chute de l’empire et depuis Augustin, refonder émotionnellement la communauté (Emanuele Coccia, « Citoyen par amour. Émotions et institutions », L’Atelier du Centre de recherches historiques, 2016)
Analyse sémantique et traitement lexicométrique des mots de l’amour
Corps humain, corps social : un composé harmonieux de charnel et de spirituel (Anita Guerreau-Jalabert, « Occident médiéval et pensée analogique : le sens de spiritus et caro », dans Jean-Philippe Genet dir., La Légitimité implicite, Paris-Rome, 2015)
Déplacements laïcs dans la matrice analogique : spiritualisation de l’amour aristocratique et territorialisation de la domination sociale
De la caritas à la solidarité : la parenté baptismale et la fraternité généralisée (Anita Guerreau-Jalabert, « Spiritus et caritas. Le baptême dans la société médiévale », dans Françoise Héritier-Augé et Élisabeth Copet-Rougier dir., La Parenté spirituelle, Paris, 1995)
Entre le Moyen Âge et nous : étrangeté et familiarité
« L’analogie généralisée produit un dispositif idéel compact et fortement intégrateur, qui fonde un ordre total » (Anita Guerreau-Jalabert)
Penser autrement l’efficacité de la domination : propositions sur la notion d’expérience politique (Patrick Boucheron, cours des 12 et 19 mars 2019 au Collège de France)
Pour entendre gronder la sédition au cœur des mots : l’étymologie de caritas, ou le feu sous la cendre
Dans tous les mots de l’amour, l’ambivalence entre le charnel et le spirituel (Dominique Poirel, « les noms de l’amour dans le Moyen Âge latin », colloque de l’Institut catholique de Paris, 8 décembre 2023)
Une bipolarité transmise aux langages modernes de l’amour (« Aimer, amour, amitié », dans Barbara Cassin dir., Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles, Paris, 2004)
Comment la discipliner malgré tout ? Contre la « funeste synthèse » d’Augustin (Anders Nygren, Eros et agapè. La notion chrétienne de l’amour et ses transformations, Paris, 1944-1952)
Deus caritas est : l’encyclique de Benoît XVI en 2005 et l’inquiétante acceptation de la part érotique dans l’amour charitable chrétien
« Dieu nous surpasse au titre de meilleur amant » (Jean-Luc Marion, Le Phénomène érotique, 2003)
Retour à l’incertitude des signes : Ibn Hazm, Stendhal et Kierkegaard
« Le langage humain n’a pas un mot, pas un seul, pas même le plus sacré, dont nous puissions affirmer qu’en le prononçant un homme prouve absolument la présence en lui de l’amour » (Søren Kierkegaard, Les Œuvres de l’amour, 1847)
Proximité et préférence : l’indistinction politique du commandement d’amour (Marc Crépon, « Politique de l’amour », conférence au Collège d’études mondiales, 2017)