L'invention de la tradition liturgique

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Le 6 janvier 1439, le peuple ambrosien s’est porté au secours des livres liturgiques : le cours commence par l’analyse de « l’affaire Branda Castiglioni », qui permet de définir l’une des spécificités du Mysterium ambrosianum : l’identité liturgique milanaise se représente toujours comme une basilique assiégée. On part en quête des justifications légendaires de cette représentation sociale, à la recherche du mystérieux évêque Eugène, résistant à l’agression carolingienne. Un épisode de l’Historia Mediolanensis de Landulf l’Ancien (v. 1085) met en récit cette lutte milanaise contre l’uniformisation liturgique au temps de Charlemagne. De Beroldus au Beroldus novus et de Giovanni Arcimboldi à Pietro Casola, l’invention progressive de l’ordre liturgique par les livres demeure fidèle à cette tradition politique. L’enquête fait alors retour sur le « conflit des basiliques », lors de la Semaine sainte de 386 : l’invention ambrosienne des hymnes doit y être comprise comme chant de vigilance : « Ils racontent que le peuple est séduit par le charme de mes hymnes. Je n’en disconviens pas. Il y a là un grand charme : rien n’est plus puissant. » (Ambroise, Sermo Contra Auxentium). C’est à comprendre l’efficacité émotionnelle, communautaire et mémorielle de ce carmen que l’on tente de s’atteler dans cette séance.

Sommaire

Histoires de kilt : The Invention of Tradition (Eric Hobsbawm et Terence Ranger, 1983)
« Un ensemble de pratiques de nature rituelle et symbolique qui sont normalement gouvernées par des règles ouvertement ou tacitement acceptées et cherchent à inculquer certaines valeurs et normes de comportement par la répétition, ce qui implique automatiquement une continuité avec le passé »
Sur l’échec programmé de l’histoire régressive
Un autre point de répulsion à partir du XV^esiècle : l’affaire Branda Castiglioni (6 janvier 1439)
Quand le peuple ambrosien se porte au secours des livres liturgiques
Une apparition (Ambroise en héros cavalier), une revenante (la basilique Santa Tecla détruite, reconstruite, détruite à nouveau, jamais oubliée)
La spécificité du Mysterium ambrosianum : une basilique assiégée
La présence des morts parmi les vivants : memoria des médiévistes, rituel des anthropologues et mémoire religieuse des sociologues (« l’invention rétrospective de ce qui a été », Danièle Hervieu-Léger)
Réformer pour conserver : la liturgie comme objet d’histoire
Calendrier, prières universelles, préfaces ambrosiennes et christocentrisme accentué : les caractéristiques originales du rit ambrosien
« Comme il est évident que l’ordre et le modèle de l’office ambrosien sont de la plus haute antiquité… » (Charles Borromée, 4 août 1568)
À la recherche du mystérieux évêque Eugène, résistant à l’agression carolingienne
Un épisode de l’Historia Mediolanensis de Landulf l’Ancien (v. 1085) : des livres volés qui se libèrent d’eux-mêmes, un missel caché dans une grotte, un manuel ambrosien éparpillé dans les replis des mémoires individuelles
Réalités politiques et codicologiques de l’uniformisation liturgique au temps de Charlemagne
Ordo et caeremoniae ecclesiae Ambrosianae Mediolanensis et Sermo b. Thomae : les leçons d’un manuscrit composite (Ambr. I 152 inf.)
De Beroldus au Beroldus novus et de Giovanni Arcimboldi à Pietro Casola : l’ordre liturgique par les livres
Un seuil narratif au XI^esiècle, un seuil codicologique au IX^esiècle : encore la flèche du temps
Existe-t-il sinon une origine, du moins une matrice ambrosienne à ce motif de la basilique assiégée ? Retour sur la Semaine sainte de 386
L’invention des hymnes comme chant de vigilance : « Ils racontent que le peuple est séduit par le charme de mes hymnes. Je n’en disconviens pas. Il y a là un grand charme : rien n’est plus puissant » (Ambroise, Sermo Contra Auxentium)
L’efficacité émotionnelle, communautaire et mémorielle du carmen
La « bande-son » de l’histoire milanaise : l’empreinte mémorielle de l’Hymne 10 Victor, Nabor, Felix pii et son rajeunissement à l’époque communale
Gervais et Protais, deux corps « cachés et gardés intacts pendant tant d’années dans le trésor de son mystère pour les révéler le temps venu… » (Augustin)
La Tradition au sens théologique : grand âge et éternelle jeunesse
Comment croire à ce que l’on a inventé : l’invention des reliques d’après Pierre Michon (« Neuf passages du Causse », Mythologies d’hiver)
Pour saluer Daniel Fabre : « on ne saurait décider d’où provient ce charme ambigu : des souvenirs personnels attachés à ces moments ou de la vertu propre de ces récits et de ces airs, celle que chaque transmission renouvelle, celle que chaque auditeur reconnaît » (« Proverbes, contes et chansons », Les lieux de mémoire)