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Ivette Aguilar, chercheuse en chimie des matériaux

Chemins de chercheurs

Le développement de batteries plus sûres et écologiques ! Tel est l’objet de recherche d’Ivette Aguilar, chercheuse au Collège de France.

Ivette Aguilar

Vos recherches portent sur la mise au point de batteries plus efficaces pour stocker l’électricité, notamment décarbonée. Avez-vous toujours été intéressée par le lien entre la chimie et l’écologie ?

Au départ, c’était simplement un passe-temps lié à la chimie. Mon intérêt pour les questions écologiques a émergé plus tard. À la fin de mon master, j’ai commencé à m’intéresser au stockage de l’énergie. À travers les cours d’électrochimie, j’ai découvert le fonctionnement des batteries et leur rôle dans la société, ce qui m’a incitée à approfondir mes connaissances dans ce domaine.

Nous nous intéressons de plus en plus au développement des énergies renouvelables afin de réduire notre dépendance aux énergies carbonées. Cependant, ces énergies sont souvent intermittentes en raison du manque de vent pour faire fonctionner les éoliennes ou du manque de soleil pour les panneaux photovoltaïques. Il est donc nécessaire de trouver un moyen de stocker de grandes quantités d’électricité pour compenser ces périodes où la production est plus faible que la demande, et de la libérer lorsque cela est nécessaire. C’est là que j’ai réalisé l’impact potentiel de ma recherche sur les batteries aqueuses, car il n’existe actuellement aucune solution efficace et abordable pour le stockage de l’électricité à grande échelle. C’est ainsi que j’ai commencé à explorer les différentes technologies de batteries et à entrer en contact avec le Pr Jean-Marie Tarascon. Il m’a proposé un sujet de thèse sur les batteries à base de zinc et de manganèse, une thématique particulièrement intéressante, car elle offrait la possibilité de travailler sur une thématique novatrice.

Ce sont ces questions écologiques pratiques qui vous ont encouragée à créer une start-up ? Est-ce important pour vous de ne pas vous limiter strictement au monde académique ?

C’est important pour moi qu’il y ait une application concrète. Je ne voulais pas laisser l’idée en l’air. J’avais suffisamment confiance en mes résultats pour dire que nous pouvions potentiellement créer un système pratique. Lorsque j’ai repris un contrat à la suite de ma thèse, je voulais voir s’il était possible de trouver des pistes pour créer une start-up. C’est finalement ce qui m’a motivée. Nous faisons parfois beaucoup de recherches sans savoir comment les appliquer pour la société. C’est une chance de pouvoir imaginer des applications pratiques.

Imagineriez-vous arrêter la recherche pour vous consacrer à ces questions industrielles ?

Non, je ne crois pas être faite pour cela. Ce n’est pas mon rêve. En tant que fondatrice d’une start-up, je serais amenée à choisir entre prendre en charge la stratégie « business » ou continuer dans le département de recherche et développement. Les métiers du marketing sont très différents de celui de chercheuse et demandent, à mon avis, des aptitudes de commerçant que je n’ai pas. Par conséquent, je préfère consacrer mon attention à l’innovation et à la recherche, et cela me comble entièrement. En tant que jeunes diplômés, nous avons la chance d’être soutenus et accompagnés dans le développement industriel de nos recherches doctorales. De plus, le climat politique en France est particulièrement favorable à la création de start-up. C’est pourquoi j’ai décidé de saisir l’occasion.

Ce que vous appelez votre « passe-temps » lié à la chimie, comment vous est-il venu ?

Je crois qu’il m’est venu sur la paillasse. C’est là, en faisant des expériences, que j’ai compris que la recherche était ce que j’avais envie de faire. J’avais un professeur en première année de licence qui faisait un travail assez extraordinaire pour susciter l’intérêt des étudiants pour la chimie. Il proposait de réaliser des expériences simples : par exemple d’induire des changements de couleur dans des liquides, en mélangeant deux solutions entre elles, ou d’observer les changements d’état de la matière. C’était assez joli et élégant à voir. Il y a pour moi un plaisir esthétique qui vient peut-être de là.

Est-ce que vous aviez déjà un intérêt pour la chimie des batteries à ce moment-là ?

Mon intérêt pour la chimie des batteries est venu plus tard, vers la deuxième année de mon master. J’avais suivi un cursus de chimie plutôt généraliste. C’est lors de mon stage de master sur les batteries d’insertion au zinc que j’ai été convaincue de m’investir dans ce domaine. Je voulais comprendre le fonctionnement des différentes technologies de batterie, car nous les utilisons tous les jours sans nous interroger sur leur mode de fonctionnement.

Au cours de ce stage, j’ai exploré la littérature scientifique sur les batteries au zinc, et j’ai été frappée par l’enthousiasme qui sous-tendait ces recherches. Elles étaient souvent présentées comme les batteries du futur. En même temps, j’ai pris conscience de tous les défis scientifiques qui devaient être relevés pour rendre ces systèmes pratiques, et j’ai trouvé cela très stimulant. Je voulais en savoir davantage sur cette nouvelle génération de batteries, qui promettait d’être plus respectueuse de l’environnement.

Ivette Aguilar manipulant des fioles au-dessus de la paillasse du laboratoire

Peut-on imaginer des batteries plus vertueuses ?

Il existe plusieurs technologies de batteries, en fonction des métaux utilisés. Les batteries lithium-ion sont actuellement les plus performantes. Le lithium est un métal très léger, ce qui se traduit par des batteries légères. C’est pourquoi cette technologie est privilégiée pour les appareils portables, tels que les téléphones mobiles ou les ordinateurs. Cependant, ces batteries demeurent coûteuses en raison de deux facteurs majeurs. Tout d’abord, elles utilisent des matériaux rares, en plus des problèmes liés à leur abondance, il y a aussi des préoccupations quant à leur répartition inégale dans la croûte terrestre, ce qui engendre des problèmes géopolitiques. Deuxièmement, la fabrication de ces batteries impose des conditions très contraignantes aux entreprises, car l’assemblage de ces systèmes doit être effectué à l’abri de l’oxygène et de l’eau, afin d’éviter tout risque d’incendie.

En revanche, les batteries aqueuses au zinc ne rencontrent pas ces problèmes. Le zinc est un métal plus abondant et réparti de manière plus homogène dans la croûte terrestre. De plus, il est stable à l’air libre et plus facilement recyclable. Cependant, il rend les batteries plus lourdes et moins performantes, même si leur production est moins coûteuse.

On ne risque donc pas de les voir arriver dans nos téléphones ?

Non, l’objectif n’est pas de remplacer les batteries lithium-ion, qui représentent la meilleure option pour les appareils électroniques. Notre vision se tourne plutôt vers le stockage de l’énergie à grande échelle, pour lequel il n’existe actuellement aucune solution. C’est là que les batteries au zinc trouvent leur intérêt. Malgré leurs limitations intrinsèques qui les rendent inadaptées pour les appareils électroniques portatifs, elles se révèlent pertinentes dans le contexte de parcs de batteries. Imaginez des hangars aussi vastes qu’un terrain de football, voire plus grands, qui pourraient contenir plusieurs centaines de batteries. De plus, il s’agit d’une technologie ancienne que nous maîtrisons bien, car elle s’inspire des batteries que nous utilisons déjà, mais qu’il faut améliorer grâce aux dernières avancées de la recherche actuelle.

Comment vous est venue l’idée de revenir sur une technologie ancienne pour essayer de l’améliorer ?

C’est une technologie vieille d’environ deux cents ans que nous n’avions pas réussi à rendre rechargeable. Il s’agit de la technologie à l’origine des piles alcalines que nous connaissons tous ! Cependant, nous nous souvenons également des performances médiocres des piles rechargeables qui étaient vendues dans le commerce à l’époque, précisément parce que la technologie n’était pas adaptée à cela. L’électrochimie a été découverte grâce au zinc, et il ne faut pas oublier que le prototype de batterie était également composé de zinc, mais il a ensuite été délaissé en raison des avantages du lithium. Depuis les années 2010, nous assistons à un regain d’intérêt pour les batteries au zinc, dans l’espoir d’optimiser leur recharge grâce à nos connaissances actuelles. De plus, c’est parce que nous disposons de décennies d’expérience dans les piles alcalines que nous pourrions plus facilement développer les batteries rechargeables au zinc. Enfin, elles se recyclent très facilement.

Quelles sont les pistes d’amélioration que vous explorez ?

Une batterie est toujours composée de trois parties : les deux électrodes, l’anode et la cathode, ainsi que de l’électrolyte, qui est le liquide dans lequel elles baignent. Ce sont donc ces composantes sur lesquelles nous pouvons agir. Nous cherchons tout d’abord à reformuler le liquide (l’électrolyte), afin de réduire les réactions parasites et de rendre le système plus sûr et plus puissant. Nous recherchons des compositions non toxiques et économiques, ayant la possibilité de se mélanger facilement dans l’eau. Pour les électrodes, en particulier l’anode en zinc, nous testons différents alliages afin d’éviter la formation de dendrites. Lorsque le zinc se dépose sur l’électrode, il a tendance à former des structures fractales ressemblant à des branches d’arbres. Celles-ci grandissent au fil des cycles de charge/décharge et finissent par se casser, ce qui appauvrit notre système en zinc et entraîne une diminution des performances de la batterie. En ce qui concerne la cathode, nous travaillons sur l’amélioration de la conduction électronique de l’oxyde de manganèse. Il est donc nécessaire de comprendre toutes les composantes de la batterie pour obtenir une batterie optimale.

Quand peut-on espérer voir ces innovations être déployées ?

Le temps de la recherche n’est pas le même que celui de l’industrie. Nous envisageons de développer un prototype de batterie destinée au marché grand public dans les deux prochaines années. Cette batterie pourrait être commercialisée sous la forme d’une petite station électrique. Toutefois, en ce qui concerne le stockage d’énergie à grande échelle, nous parlons plutôt d’un horizon temporel de dix à quinze ans.

Que pensez-vous de l’impact social de la science et de la recherche, notamment au Mexique, qui est votre pays d’origine ?

Il y a de nombreux problèmes environnementaux au Mexique, et ceux-ci sont très visibles au quotidien. Malheureusement, en tant qu’individu, il y a souvent peu de possibilités d’agir, et on se sent souvent impuissant. C’est donc plus satisfaisant de mener des recherches appliquées en France. Même si cela n’était pas encore très discuté pendant mes études, j’ai rapidement eu le sentiment de pouvoir contribuer à la société en matière d’environnement. De plus, je constate que les nouvelles générations sont de plus en plus conscientes de l’impact du phénomène du réchauffement climatique. J’ai donc l’espoir que la société fera de grands progrès à cet égard. En tout cas, j’espère apporter ma contribution à cette transition.

Ivette Aguilar est chercheuse au Laboratoire de chimie du solide et énergie du Collège de France sous la direction du Pr Jean-Marie Tarascon.

Photos © Patrick Imbert
Propos recueillis par Aurèle Méthivier