Résumé
L’enquête sur les manuscrits persans de Sir William Ouseley (1767-1842) et de son frère Sir Gore Ouseley, bt (1770-1844) explore la manière dont, après 1757, la demande britannique accrue de littérature sur l'Inde moghole a modifié le commerce international des manuscrits. Sur le sous-continent et en Iran, des marchés secondaires se sont spécialisés dans la vente de manuscrits aux étrangers. Comme les manuscrits exportés sont souvent devenus la source des éditions savantes modernes, les marchands indiens et iraniens ont participé activement à la transmission de la littérature persane et à sa réception par les Britanniques. En faisant avancer le débat sur la circulation des manuscrits persans, l’enquête jettera également un nouvel éclairage sur les relations transculturelles entre les érudits à l'époque géorgienne. Les manuscrits des deux frères, conservés aux bibliothèques Bodleian (Oxford) et Rylands (Manchester), constituent la source principale de l’enquête.
Dans l'histoire des études persanes en Grande-Bretagne, les frères Ouseley sont des personnages de transition qui, à l'origine, poursuivaient des carrières militaires et commerciales. En 1794, William vendit son brevet d’officier dans le 8e Royal Irish Regiment de Dragons, et publia en 1795 Persian Miscellanies, le premier manuel anglais de paléographie persane. De son côté, Gore a vécu pendant près de vingt ans en tant qu'homme d’affaires indépendant, d'abord au Bengale oriental, puis à Lucknow. De 1810 à 1815, il fut chargé d'une mission britannique à Téhéran et à Saint-Pétersbourg pour aider la négociation du traité de Golestan de 1814 ; William accompagna Gore en tant que secrétaire privé. Les deux frères rejoignirent la nouvelle Royal Asiatic Society à Londres en 1823. En 1828, Gore devient le premier président de l'Oriental Translation Fund de cette société savante qui publia des sources primaires qui n’étaient jusqu'alors disponibles que sous forme de manuscrits. Sa passion de toujours pour la littérature persane se reflète dans ses Biographical Notices of Persian Poets (1846), publiées à titre posthume.
Les Ouseley ont acheté des manuscrits persans pour lire la littérature persane. Alors que Gore pouvait acheter des manuscrits neufs et d'occasion en Inde, les frères en achetaient également en Europe et en Iran. William collectionnait « non seulement les œuvres persanes les plus anciennes et les plus belles, mais aussi plusieurs copies de chacune d'entre elles, afin d'obtenir un texte parfait et précis par collation » (Catalogue of... Manuscript Works, Londres, 1831, p.iv). En 1843, ses héritiers vendirent six cents manuscrits en un seul lot à la Bibliothèque bodléienne (Falconer Madan, Summary Catalogue, 4, 1897, pp. 664-673). En revanche, Gore a acquis et cédé des manuscrits tout au long de sa vie, sans toujours inscrire ou ajouter son ex-libris armorié, même sur des copies aussi importantes qu'une copie complète du Mathnavī de Rūmī, datée de 805/1403 (Bodl. Ouseley Add. 146 = Ethé 646). En conséquence, la Bibliothèque bodléienne a reçu les manuscrits de Gore de différents propriétaires, et beaucoup de ses manuscrits ne sont pas identifiés (ibid., 5, 1905, pp.40 et 72). C'est dans ce contexte que l'examen codicologique des manuscrits des deux frères promet de fournir de nouvelles informations sur leurs stratégies d’achat.